La puissante centrale syndicale tunisienne UGTT a refusé lundi 23 mai de prendre part au dialogue proposé par le président Kais Saied dans le but de fonder une «nouvelle République», après qu'il a pris les pleins pouvoirs en juillet 2021. Kais Saied a nommé vendredi un juriste proche de lui –Sadok Belaïd– à la tête d'une commission chargée d'élaborer une Constitution pour «une nouvelle République» à travers un «dialogue national» dont les partis politiques sont exclus. Selon un décret présidentiel, cette commission présentera «un projet de Constitution» au président. Elle le fera après la tenue d'un «dialogue national», auquel ont été invités les syndicats l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) et l'Union tunisienne de l'agriculture et de la pêche (UTAP), l'organisation patronale UTICA, les ONG la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH) et l'Union nationale de la Femme tunisienne (UNFT). Un risque d'«aggraver» et de «prolonger» la crise Mais à l'issue d'une réunion de l'instance dirigeante de l'UGTT lundi sous la présidence de son secrétaire général Noureddine Taboubi, la centrale syndicale a infligé un camouflet au président Saied en annonçant qu'elle boycotterait le dialogue proposé. L'UGTT «ne participera pas au dialogue national sous le format proposé par le président Kais Saied qui n'a pas fait l'objet de consultations préalables et ne répond pas aux attentes des forces nationales pour mettre en place un processus patriotique permettant de sortir de la crise», a déclaré la centrale syndicale dans un communiqué. L'UGTT estime que ce dialogue vise à «cautionner des conclusions décidées unilatéralement à l'avance et les faire passer par la force comme faits accomplis». Pour la centrale syndicale, «non seulement ce dialogue n'est pas de nature à sortir le pays de la crise mais il risque de l'aggraver et la prolonger». «Ce dialogue n'est pas à la hauteur de la crise que connaît la Tunisie et ne dessine pas avenir meilleur», a déclaré Noureddine Taboubi à la presse à l'issue de la réunion. «Nous appelons à un dialogue national réel car celui proposé actuellement exclut des composantes politiques importantes dans le pays», a-t-il ajouté. Acteur influent sur la scène politique en Tunisie, l'UGTT a reçu –avec l'UTICA, la LTDH et l'Ordre national des avocats du Quartette– du Prix Nobel de la Paix en 2015 pour sa contribution à la transition démocratique en Tunisie, berceau du Printemps arabe où la démocratie semble vaciller depuis le coup de force de Kais Saied en juillet. Kais Saied avait annoncé début mai l'instauration d'un «dialogue national» attendu depuis des mois, tout en s'en prenant aux partis politiques qu'il accuse d'avoir pillé le pays ces dernières années. Dans une feuille de route censée sortir le pays de la crise politique, Kais Saied a prévu un référendum sur des amendements constitutionnels le 25 juillet, avant des législatives le 17 décembre. Après des mois de blocage politique, Kais Saied, élu fin 2019, s'est arrogé les pleins pouvoirs le 25 juillet 2021 en limogeant le Premier ministre et en suspendant le Parlement dominé par le parti d'inspiration islamiste Ennahdha, sa bête noire, avant de le dissoudre en mars. Outre l'impasse politique, la Tunisie connaît une grave crise socio-économique et est en pourparlers avec le Fonds monétaire international (FMI) dans l'espoir d'obtenir un nouveau prêt.