Le tribunal de Paris a examiné, mardi 27 janvier, la recevabilité des poursuites engagées par l'Etat marocain contre des ONG et des médias français ayant ébruité l'affaire controversée Pegasus sans avancer des preuves. Au centre cette lutte judiciaire, un article de loi éculé qui empêche l'avancement de la vérité. La recevabilité des citations directes, déposées par le Maroc contre Le Monde, Radio France, France Media Monde, Mediapart, L'Humanité, Forbidden Stories et Amnesty international, est confrontée à une jurisprudence imbécile, décrite comme «constante» par la procureur français dans le dossier Pegasus : «Un Etat, qu'il soit français ou étranger» ne peut poursuivre en diffamation. Au nom de «de la liberté de pouvoir critiquer un Etat, qui a d'autres moyens de se défendre», a-t-elle ajouté. Pourtant, le Maroc, décrit (à tort) comme détenteur du logiciel Pegasus, a dénoncé des «allégations mensongères et infondées» en enclenchant plusieurs procédures judiciaires en France, en Espagne et en Allemagne. «Le Maroc a le droit de défendre l'honneur terriblement bafoué de ses services de renseignement» par des «journalistes irresponsables», a plaidé l'avocat du Maroc, Me Olivier Baratelli. Les avocats du royaume soutiennent que leur demande est recevable car ce n'est pas l'Etat, mais une administration – les renseignements – qui attaquent en diffamation. Le tribunal rendra sa décision le 25 mars. L'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 qui «réprime la diffamation publique commise envers les particuliers» suscite même la polémique en France. En 2019, l'ancienne garde des sceaux, Nicole Belloubet, a annoncé qu'une réflexion serait envisagée afin de retirer l'injure et la diffamation de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Le débat est ancien, et a été relancé par l'ancienne procureure générale de Paris, qui a considéré que les dispositions de la loi de 1881 «sont devenues de véritables facteurs d'obstruction à l'application de la loi pénale». La loi du 13 novembre 2014 a déjà soustrait la provocation et l'apologie du terrorisme de la loi sur la presse, mais la haine et la diffamation, qui font rage, sont encore protégées par ses dispositions. Pour beaucoup, ôter l'injure et la diffamation de la loi de 1881 de son contenu est problématique, puisque ces deux délits représentent 90 % du contentieux des délits de presse – qui ne seraient donc plus des délits de presse. Cédric O, le secrétaire d'Etat au numérique, s'était prononcé pour «un conseil de l'ordre des journalistes», afin de sévir contre les fausses informations, en notant qu'à défaut ce serait, «au bout du bout», à l'Etat d'intervenir. Une déclaration qui hérissé ceux qui visent aujourd'hui le Maroc. La justice française a déjà un antécédent, lorsqu'elle a déclaré en 2016 «irrecevable» une plainte en diffamation du Maroc contre Zakaria Moumni, accusé de chantage et d'extorsion de fonds, lequel a porté plainte en France contre le patron du contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi, sur la base d'informations infondées. Le tribunal correctionnel de Paris a estimé que le royaume, un Etat ne pouvant «être assimilé à un particulier», et donc privé de la possibilité de poursuivre en diffamation au titre de l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 qui «réprime la diffamation publique commise envers les particuliers». Sans trancher sur le fond, alors que les propos de Moumni sont purement diffamatoires, la cour a donc déclaré «le royaume du Maroc irrecevable en son action à l'encontre de Zacharie (dit Zakaria) Moumni». Les propos attaqués par le Maroc, faut-il le rappeler, avaient été prononcés par Zakaria Moumni en marge de la grande manifestation du 11 janvier 2015 après les sanglants attentats de Paris. L'homme, par le biais d'un concours de circonstances assez équivoque, a pu pérorer sur deux chaînes françaises à grande audience contre la présence dans la capitale de représentants du Maroc, estimant qu'ils n'y avaient «pas leur place». Les avocats du royaume, Yves Repiquet et Ralph Boussier, ont immédiatement annoncé directement qu'ils feraient appel de ce jugement «afin que le crédit médiatique qui a été accordé aux propos de Zakaria Moumni soit définitivement ruiné et qu'un Etat puisse défendre son honneur devant les juridictions françaises». Malgré cela, la cour d'appel de Paris a jugé irrecevable, début 2018, une plainte en diffamation du Maroc contre le désormais escroc notoire.