En compulsant des documents déclassifiés, un historien tchèque a dévoilé de manière circonstanciée les missions confiées par les services secrets tchécoslovaques à Mehdi Ben Barka. Des archives déclassifiées des services secrets tchécoslovaques, étudiées par un jeune historien tchèque interrogé par l'hebdomadaire britannique The Observer, démontrent sous un autre jour la véritable réalité des activités politiques de Ben Barka avant sa mort. Selon ce dossier de plus de 1 500 pages, «Ben Barka entretenait non seulement des relations étroites avec la Státní bezpecnost (StB), le redouté service de sécurité tchécoslovaque, mais en recevait d'importants paiements, en espèces et en nature». Dans un entretien fleuve avec Maroc Hebdo, Jan Koura a affirmé que «le StB a toujours refusé de soutenir les tentatives de Ben Barka de renverser la monarchie marocaine». Pour lui, «l'ampleur des documents évoquant la coopération de Mehdi Ben Barka avec le StB est très importante, encore qu'une partie seulement du dossier du StB ait été conservée, il contient plus de 1 500 pages de documents interconnectés. Des centaines d'autres documents issus d'autres dossiers personnels les complètent.» Le chercheur affirme que ses conclusions sont attestées car «il n'y avait aucune raison pour que quiconque falsifier des milliers de documents destinés uniquement à l'usage interne des renseignements tchécoslovaques », tout en démontrant que « certains hauts responsables tchécoslovaques n'étaient pas heureux à l'égard des contacts du StB avec Mehdi Ben Barka, ce qui a provoqué des tensions considérables.» Selon lui, «le gouvernement tchécoslovaque ou les plus hauts responsables communistes n'ont pas approché Ben Barka pour ne pas nuire aux relations diplomatiques avec le Maroc.» Mehdi Ben Barka, a-t-il affirmé, «n'a jamais été reçu par les hauts responsables de l'Etat bien qu'il ait visité Prague au moins dix fois.» Mehdi Ben Barka était membre du secrétariat de l'OSPAA, vice-président du Comité de fonds de solidarité chargé de recueillir l'aide financière pour les mouvements de libération nationale des pays du tiers-monde, futur patron du Comité préparatoire de la Conférence de la solidarité des peuples d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine (la «Tricontinentale»). Mehdi Ben Barka a été répertorié comme «contact confidentiel», la deuxième catégorie la plus élevée sur l'échelle de collaboration de la StB, a-t-il dévoilé. «Les relations entre le StB et Ben Barka ont connu une certaine transformation entre 1961 et 1965. Au départ, Ben Barka n'a pas paru très crédible au StB. Il a donné des informations inexactes et les contacts avec lui n'étaient pas réguliers. Cependant, en 1963, il a été évalué comme une source d'informations très importante, et il était plus disposé à remplir ses tâches», a indiqué M. Kouira. «Aucun document ne montre que le StB était réellement disposé à former des groupes subversifs contre le Maroc. Il n'a accepté de dispenser une formation de renseignement similaire à celle reçue par Ben Barka au printemps 1965 qu'à plusieurs membres de l'UNFP», a-t-il énoncé. Les liens entre l'Est et Mehdi Ben Barka avaient auparavant été abordés par un journaliste tchèque, Petr Zidek. L'affaire, à l'époque révélée par l'Express, a été rouverte par l'historien Jan Koura. En recoupant les archives avec des milliers d'autres documents récemment rendus publics, M. Koura dépeint Ben Barka comme «un homme qui jouait sur plusieurs tableaux, qui en savait beaucoup et qui savait aussi que les informations étaient très précieuses en temps de guerre froide». Dans les colonnes de The Observer, il qualifie Ben Barka d'«opportuniste qui jouait un jeu très dangereux», qui avaient d'autres rapports non avoués : «Le StB a reçu d'autres rapports alléguant que Ben Barka était en contact avec les Etats-Unis, bien que l'homme politique marocain ait toujours nié lorsqu'il a été confronté à ces informations», a déclaré Jan Koura à L'Observer. Dans le déni, Bachir Ben Barka tente de laver son père, avec des arguments toutefois peu consistants : «Il est indéniable que les analyses de Mehdi Ben Barka sur la situation marocaine, africaine et du tiers-monde en général étaient importantes. Il n'y avait aucune raison qu'il n'en ait pas fait profiter un diplomate ou un responsable politique d'un pays ami. Il était dans son rôle de dirigeant politique et ne s'en privait pas.»