La diplomatie espagnole traverse une période difficile marquée par une certaine inertie. Pourtant, de façon paradoxale, le Maroc semble engranger les bénéfices de son activisme sur plusieurs fronts. Rabat mène une politique qui se caractérise par une lecture attentive des lignes de force et de fracture, tandis que Madrid peine à faire entendre sa voix et défendre sa conception des choses. La haute direction de la politique étrangère marocaine est marquée par une liberté d'action absolue, indispensable pour profiter des occasions qui se présentent, et cet art de savoir attendre pour récolter les résultats espérés. Quant à Madrid, il scrute avec appréhension les percées diplomatiques de Rabat et son rapprochement avec Tel-Aviv et Washington. Alors que la diplomatie espagnole remarque chez ses alliés une nuance de froide réserve à son égard, elle s'inquiète de voir que le Maroc profite des efforts mis sérieusement à contribution pour renforcer son rôle à l'échelle internationale. La rencontre entre Nasser Bourita et Antony Blinken était remarquablement réussie. «M. Blinken a publiquement exprimé sa gratitude au ministre marocain des Affaires étrangères pour sa visite à Washington, [louant] une association de longue date avec le Maroc, que nous voulons renforcer et approfondir», rapporte le site digital espagnol La Información avant d'ajouter : «C'est précisément cette volonté d'aller plus loin dans les relations entre les deux pays qui effraie» Madrid. «Dans le cadre de ces pourparlers se trouvait la situation au Sahara (occidental). Blinken est allé beaucoup plus loin dans son propos, liant directement la visite du ministre marocain à la désignation du nouvel envoyé spécial des Nations unies pour le Sahara occidental, Staffan de Mistura» a-t-on mentionné. «Le secrétaire d'Etat a souligné que nous continuons de considérer le plan d'autonomie du Maroc comme sérieux, crédible et réaliste, porteur d'une approche qui peut potentiellement satisfaire les aspirations du peuple du Sahara occidental», a déclaré son porte-parole Ned Price à l'issue d'une rencontre entre Antony Blinken et son homologue marocain Nasser Bourita à Washington. Les deux hommes ont «exprimé leur ferme soutien» au nouvel émissaire de l'ONU Staffan de Mistura, chargé d'un difficile processus de négociations, selon le communiqué américain. Comment pourrait-il en être autrement ? Nasser Bourita, enthousiaste, a précisé que son déplacement aux Etats-Unis est axé sur «l'enrichissement de notre dialogue stratégique, de notre coopération militaire et comment défendre nos intérêts communs». Il a même placé le Maroc comme acteur central pour résoudre des problèmes comme «le changement climatique, l'extrémisme, la situation en Libye, etc.» «Indépendamment des déclarations, la vérité c'est que Washington maintient son soutien au Maroc dans le dossier du Sahara, rendu explicite par l'ancien président Trump et que M. Biden a déjà réaffirmé avec un soutien exprès aux revendications marocaines en ne retirant pas le décret signé par son prédécesseur» écrit La Información «Le Maroc sait jouer (et très bien) ses cartes. En fait, la raison de la visite de Bourita était d'informer en personne l'administration américaine de la visite du ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, à Rabat, également cette semaine, pour la signature de ce qui sont sans doute des accords historiques entre les deux pays. L'étendue de la nouvelle relation entre Israël et le Maroc est telle qu'elle couvre tous les aspects liés à la défense, y compris le renseignement, la cybersécurité, la formation militaire, et ce qui est le plus important dans le domaine de la sécurité : le transfert de technologie», remarque la même source. L'accord permettra, selon les mots de M. Gantz, «de coopérer à des exercices militaires conjoints» à un moment où les relations entre l'Algérie et le Maroc sont au plus mal. Cette entente «agace dans les deux rives de la Méditerranée», a-t-on explicité. «L'espace de médiation entre la communauté arabe et Israël est traditionnellement le territoire espagnol. Les efforts des gouvernements socialistes, dirigés par Miguel Ángel Moratinos, pour montrer une troisième voie dans les relations entre Arabes et Israéliens sont en danger, car Israël en profitera pour se rapprocher de Rabat» a-t-on mentionné. En Espagne, une reconfiguration de la scène au Moyen-Orient et en Afrique du Nord est redoutée. La diplomatie espagnole «sombre dans l'inaction» et face au repositionnement des Américains, des Marocains et des Israéliens, «Madrid reste absorbé dans la recherche d'une photo-souvenir [avec Joe Biden] qui n'arrive pas, et ce qui est pire, elle néglige l'imprévisibilité des événements à venir en Afrique du Nord. Pour les Etats-Unis, la différenciation entre l'Espagne et le Maroc est claire : Madrid est un "partenaire", Rabat est un "allié stratégique"», a-t-on conclu.