Paris appelle au respect de sa souveraineté par Alger, après que l'ambassadeur d'Algérie en France eut incité la communauté algérienne à constituer un levier de commande pour intervenir dans la vie politique française. Un éventuel retour de l'ambassadeur d'Algérie en France après des propos critiques du président Emmanuel Macron, est «conditionné au respect total de l'Etat algérien» par Paris, a déclaré le président algérien Abdelmadjid Tebboune. Entre les deux pays rien ne va plus. Mais les causes officieuses de ces tensions sont plus profondes. Les relations entre la France et l'Algérie sont toujours hantées par la guerre d'Algérie. Alors qu'approchent des anniversaires importants, comme ceux des accords d'Evian du 18 mars 1962 mettant fin à la guerre, il s'avère que le régime algérien cherche à pousser Paris à se défaire de certains principes qui guident sa diplomatie. Querelle passagère ou dégradation durable des relations diplomatiques ? «Les crises entre ces deux pays ne sont pas une nouveauté (3). L'une d'elles, peut-être la plus grave, fut provoquée, en février 1971, par la nationalisation des hydrocarbures décidée par le président Houari Boumediène. Il s'ensuivit un bras de fer diplomatique de plusieurs années, des mesures de rétorsion décidées par Paris – notamment l'arrêt des importations de vin algérien dans l'Hexagone – et des discours algériens très virulents à l'encontre de l'ancienne puissance coloniale accusée, entre autres, de passivité face à la vague d'assassinats et d'actes de violence raciste subis par les immigrés» écrit Le Monde diplomatique dans son édition de novembre. «Les tensions ne cessent de resurgir. Fréquemment motivées par des considérations de politique intérieure, elles débouchent toujours sur une crise diplomatique. Parfois, la brouille peut survenir de manière totalement inattendue. En décembre 2013, les relations bilatérales sont au beau fixe – onze mois plus tôt, Alger a même donné son accord pour que l'armée de l'air française emprunte son espace aérien pour intervenir au Mali, une première. Mais une plaisanterie de M. François Hollande plombe l'ambiance. Devant le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), le président déclare que son ministre de l'intérieur Manuel Valls est rentré sain et sauf d'un voyage officiel en Algérie, avant d'ajouter : C'est déjà beaucoup. Pour les autorités algériennes, cette boutade est une critique de trop à propos de la situation sécuritaire de leur pays» narre le journal français, dont l'édition d'octobre a été censurée en Algérie. «Se dessine ainsi l'existence d'un théâtre à deux scènes. L'une où fâcheries et réconciliations provisoires sont visibles de tous et alimentent la chronique. L'autre, bien plus discrète, où militaires, services de renseignement et milieux économiques continuent de vaquer tranquillement à leurs affaires. Mais tout cela semble changer, et cela jette un autre éclairage sur la frustration de M. Macron à l'égard d'un régime qu'il n'a eu de cesse de ménager alors même que celui-ci était contesté par le Hirak. Le pouvoir algérien, de tout temps constitué de clans plus ou moins rivaux mais toujours unis pour perpétuer le système, est en pleine recomposition avec son lot de disgrâces, de mises à l'écart brutales et d'emprisonnements. Dans ce contexte incertain où les contours des cercles décisionnaires sont encore flous, Paris a du mal à cerner les bons interlocuteurs et n'est jamais certain que les promesses qui lui sont faites seront tenues. Depuis deux ans, les proches de feu Bouteflika, qu'il s'agisse de son frère Saïd, qui fut son plus proche conseiller, de ses anciens chefs de gouvernement, de ses ministres influents, mais aussi de chefs d'entreprise, dont l'ex-patron des patrons Ali Haddad, sont pour la plupart en prison ou écartés. Avec eux, la France a perdu de vrais relais, voire des alliés» détaille Le Monde diplomatique. «Et les personnalités qui émergent peu à peu sont moins enclines à se soucier des intérêts français. Deux entreprises françaises, la Régie autonome des transports parisiens (RATP) et Suez, viennent ainsi de perdre leurs contrats respectifs de gestion du métro d'Alger et de distribution d'eau dans la capitale. De même, la position dominante des céréaliers français, qui fournissent 56 % des importations de blé, est désormais fragilisée par la volonté algérienne de diversifier les fournisseurs. La remise en question de l'influence française vaut aussi pour l'administration et l'appareil diplomatique, avec l'émergence définitive d'élites arabophones formées au pays et n'ayant pas la culture francophone, pour ne pas dire francophile, de leurs aînées. Symétriquement, il arrive que des diplomates français ou des conseillers de M. Macron, plus européens et occidentalistes que leurs aînés, soient moins sensibles à l'histoire particulière des relations franco-algériennes» a-t-on détaillé. «L'Armée nationale populaire (ANP), principal pilier du pouvoir, n'échappe pas elle-même à ce changement de perception. La quasi-totalité des officiers supérieurs passés jadis par l'armée française ne sont plus» évoque-t-on. «Aujourd'hui, et au-delà de la sortie de M. Macron, les griefs réciproques ne manquent pas et sont susceptibles à tout moment de provoquer un nouvel accès de fièvre. Côté algérien, on est persuadé que Paris veut en découdre sur le plan mémoriel et remettre en cause certaines dispositions des accords d'Evian et l'accord préférentiel de 1968, qui offre plus de facilités d'installation en France aux immigrés algériens par rapport à d'autres nationalités. Alger regrette aussi l'absence de soutien diplomatique de Paris à un moment où le régime se sent isolé sur la scène internationale. Enfin, les autorités exigent en vain de la France l'extradition de plusieurs opposants, dont M. Ferhat Mehenni, président du Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK), qu'Alger considère comme terroriste. Côté français, on aimerait plus de coopération en matière de lutte contre l'immigration clandestine et que l'Algérie accueille une partie des binationaux impliqués dans des affaires de terrorisme, notamment ceux partis en Syrie et en Irak» rapporte-t-on. «Deux domaines majeurs ont jusqu'à présent rarement été affectés par les «chicayas» bilatérales. C'est le cas d'abord de la coopération sécuritaire et militaire. Les liens entre les instances de défense et de renseignement ont toujours existé et sont restés peu perméables à l'évolution erratique des relations diplomatiques. Ensuite, il y a les relations économiques. Bon an mal an, et même si elle a été supplantée par la Chine» souligne-t-on. Pour Le Monde diplomatique, «les militaires algériens ne pardonnent pas à Paris le soutien sans faille accordé au Maroc dans la question du Sahara. Le 24 août, Alger a rompu ses relations diplomatiques avec le royaume, arguant d'«agissements hostiles et répétés» avec le soutien d'Israël, pays avec lequel Rabat a normalisé ses relations en décembre 2020 à l'instigation des Etats-Unis. Jusqu'en 2019, Bouteflika et son entourage pouvaient imposer une position indulgente à l'égard du parti pris français en faveur du Maroc. Aujourd'hui, personne dans le personnel politique et militaire ne plaide pour cela. Le président Abdelmadjid Tebboune semble même se ranger aux côtés des faucons favorables à une escalade avec le voisin marocain» a-t-on précisé. «L'armée algérienne rechigne par ailleurs à intervenir au Mali pour suppléer au retrait annoncé des forces françaises. Certes, la Constitution amendée depuis janvier permet désormais à l'ANP de se projeter hors de ses frontières; mais d'importantes réticences demeurent, d'où l'agacement de l'Elysée» pointe-t-on. «Mais, à quelques mois de la célébration du soixantième anniversaire de l'indépendance, ce sujet demeure épineux. Le président français explique à qui veut l'entendre qu'il œuvre à une «réconciliation des mémoires . Mais nombreux sont les Algériens qui se méfient de cette démarche, le président Tebboune estimant qu'il n'est pas possible de mettre sur un même pied d'égalité le bourreau et sa victime. Plusieurs responsables sont persuadés que M. Macron a pour seul but de séduire l'électorat de droite à quelques mois de l'élection présidentielle et regrettent enfin que le projet d'un traité d'amitié, qui aurait permis de dépasser par le haut les questions mémorielles, ait été abandonné depuis 2005. Vacharde, la presse algérienne se demande quel discours du président Macron il faut retenir» a-t-on conclu.