Alger a été bouclée vendredi, jour de marche hebdomadaire du Hirak, après un coup de filet visant des figures du mouvement contestataire en Algérie, à la veille d'élections législatives censées apporter une nouvelle légitimité au pouvoir. La police algérienne, lourdement outillée, a empêché vendredi 11 juin et pour la quatrième semaine consécutive la marche hebdomadaire du mouvement prodémocratie du Hirak à Alger et procédé à de nombreuses arrestations de militants, opposants et journalistes, a constaté Barlamane.com. «Un allègement du dispositif policier déployé à la capitale a été entrepris, et ce en raison de la présence de la presse internationale, venue pour la couverture des élections législatives. Néanmoins, des dizaines de manifestants ont réussi à improviser une marche au sortir de la mosquée dans la banlieue d'Alger, en scandant des slogans antirégime» rapportent nos sources. «Des milliers de manifestants, venus nombreux de plusieurs localités, voire d'autres préfectures, ont battu le pavé pour clamer haut et fort leur désaccord à l'encontre d'un système politique qualifie de corrompu, en scandant des slogans réclamant le départ du régime en place, l'instauration d'un état civil au lieu de militaire, ainsi que la libération des détenus politiques» indiquent nos sources, ajoutant que «le co-fondateur de l'ex-Front islamique du salut, cheikh Ali benhadj a été empêché d'aller à la prière du vendredi et violente par des éléments de police devant son domicile à Alger, lui causant plusieurs blessures.» Selon Saïd Salhi, vice-président de la Ligue pour la défense des droits de l'Homme (LADDH), les forces de sécurité ont procédé à sept arrestations et gardes à vue jeudi soir: cinq à Alger, une à Sétif (nord-est) et une à Oran (nord-ouest). Parmi les personnes interpellées à Alger figurent l'opposant Karim Tabbou, Ihsane El Kadi, directeur du site en ligne Maghreb Emergent et de Radio M, proches du Hirak, et le journaliste indépendant Khaled Drareni, qui collabore à cette station. Code pénal modifié «Ce climat de répression et les restrictions des libertés et des droits humains enlèvent toute caution démocratique et tout crédit aux élections», les premières depuis la naissance du Hirak en février 2019, a déclaré M. Salhi. À l'approche du scrutin, le régime a multiplié les arrestations et les poursuites judiciaires visant opposants politiques, militants hirakistes, avocats et journalistes indépendants. Barlamane.com a appris également par ailleurs, que «la diaspora algérienne en Europe et en Amérique a organisé ce jour des sit-in devant les légations diplomatiques algériennes, à paris, Barcelone et Montréal, en concomitance avec le début du vote, pour exprimer leur rejet catégorique des élections de façade». Dans un communiqué, les journalistes de Radio M et de Maghreb Emergent se disent «indignés par le climat de terreur» qu'ils subissent et exigent la libération «immédiate» d'Ihsane El Kadi et de Khaled Drareni. Ce dernier se trouvait vendredi au centre Antar, une caserne de la périphérie d'Alger connue pour être un lieu d'interrogatoire des services de sécurité. Après avoir couvert une manifestation du Hirak en mars 2020, Khaled Drareni avait été condamné à deux ans de prison pour «incitation à attroupement non armé» et «atteinte à l'unité nationale». Directeur du site d'information Casbah Tribune et correspondant en Algérie pour la chaîne francophone TV5 Monde et pour Reporters sans frontières (RSF), il avait été remis en liberté provisoire en février, et attend depuis un nouveau procès. Karim Tabbou et Ihsane El Kadi sont également détenus à la caserne militaire Antar, selon des avocats. M. Tabbou a été libéré le 29 avril sous contrôle judiciaire après une altercation avec Bouzid Lazhari, le président du Conseil national des droits de l'Homme (CNDH), un organisme officiel. Emprisonné de septembre 2019 à juillet 2020, M. Tabbou est une figure très populaire du Hirak. Quant à Ihsane El Kadi, il a été placé sous contrôle judiciaire le 18 mai. Il est accusé notamment de «diffusion de fausses informations à même de porter atteinte à l'unité nationale» et de «perturbations des élections». Le Journal officiel a publié jeudi une ordonnance présidentielle qui modifie le code pénal en redéfinissant les actes terroristes et en établissant une liste nationale de «personnes et entités terroristes» qui, selon les défenseurs des droits humains, pourrait servir à emprisonner de nombreux opposants, militants ou journalistes. «Effrayante escalade répressive» «Hier, le président (Abdelmadjid) Tebboune a élargi la notion de terrorisme par ordonnance pour faciliter la répression», a dénoncé sur Twitter le secrétaire général de RSF Christophe Deloire. Les arrestations de jeudi, qui coïncident avec le début de l'application de l'ordonnance présidentielle, ont eu lieu à 48 heures des législatives anticipées qui sont rejetées par le Hirak et une partie de l'opposition. Comme chaque vendredi, désormais, la police était largement déployée dans le centre d'Alger pour empêcher toute marche du Hirak, un mouvement qui réclame un changement radical du «système» politique en place depuis l'indépendance (1962). Peu d'Algérois circulaient dans les rues et seuls les panneaux d'affichages électoraux, dont la majorité des affiches étaient déchirées, rappelaient la tenue imminente du scrutin. En revanche, plusieurs centaines de manifestants ont défilé à Tizi Ouzou et à Bejaïa, en Kabylie (nord-est), en dénonçant un «vote organisé par la clique (au pouvoir)». Sous sa forme originelle des marches protestataires, le Hirak ne survit plus qu'en Kabylie, région berbérophone traditionnellement frondeuse. Au moins 222 personnes sont actuellement incarcérées pour des faits en lien avec le Hirak et/ou les libertés individuelles, selon le CNLD. «Les vagues promesses d'ouverture et de dialogue du président Tebboune se fracassent contre la réalité de la répression en #Algérie», a déploré vendredi Human Rights Watch (HRW), qui dénonce une «effrayante escalade répressive».