En Algérie, la tyrannie du fait tient la place du droit. Pour s'en convaincre, il faut lire le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, qui a accordé une entrevue surréaliste au magazine d'actualité hebdomadaire français Le Point, où se mêlent mensonges éhontés et déni des réalités. Des déclarations qui gravitent vers un antimarocanisme primaire, afin de ne pas aborder l'aggravation extrême d'une situation algérienne intérieure déjà difficile, sans compter les périls que court le régime. Tebboune se risque plus qu'il ne convient dans les régions nuageuses de la politique toute spéculative au détriment de la vérité des choses. Difficile de rendre exactement les pensées d'un président en forte pente, mais il faut essayer. Une rupture à main armée entre Rabat et Alger ? «Improbable, mais le pays se tient prêt afin d'être en mesure de parer à des éventualités constamment imminentes.» Le Maroc ? «un voisin querelleur, historiquement puissance belligérante». L'Algérie ? «Tout va bien, ou presque. Le pays est doté d'une constitution assez robuste pour résister aux épreuves intérieures et extérieures». L'économie algérienne ? «Les finances ne sont pas dans un état pitoyable et le budget n'est pas en proie à un déficit chronique. Les mesures recommandées ont été adoptées». La issaba (bande) qui a confisqué le pouvoir avant des décennies ? «C'est eux, pas moi». Déni et refoulement sont très marqués. Le dossier du Sahara comme enjeu de politique intérieure en Algérie, une carte pour Tebboune afin de compenser son absence de base politique, au détriment des impératifs de bonnes relations de voisinage. Abdelmadjid Tebboune a parlé. Jusqu'au-boutiste, péremptoire, abrupt et cassant. Un sempiternel entretien accordé au magazine d'actualité hebdomadaire français Le Point, émaillé d'un nationalisme ardent et ombrageux, aux aspérités peu adoucies et aux emportements ravageurs. Quelle est donc l'origine de cet étrange état des choses où l'Algérie, comme un navire à la dérive, obéit à un courant qui l'entraîne graduellement vers l'animosité à l'égard du Maroc ? Au nombre des questions qui tiennent en suspens l'avenir du Maghreb et rendent le bon voisinage si précaire, il en est une immense qui touche à tous les intérêts de la région, et dont la solution, vague encore et obscure, préoccupe vivement toutes les bonnes intelligences ; c'est l'animosité algérienne à l'égard du Maroc. Elle est si vaste, elle se présente sous des aspects si divers, mais le président algérien, ne prétend l'examiner que sous un point de vue partiel. Abdelmadjid Tebboune aborde les relations maroco-algérienns comme s'il s'agit d'en faire un champ de bataille. «La rupture avec le Maroc (…) remonte à tellement longtemps qu'elle s'est banalisée. Le Maroc a toujours été l'agresseur. Nous n'agresserons jamais notre voisin. Nous riposterons si nous sommes attaqués» a-t-il déclaré, ne parvenant pas à se dégager des exagérations qui gâtent et discréditent l'esprit diplomatique. Le roi Mohammed VI a appelé Abdelmadjid Tebboune, en 2019, à ouvrir une «nouvelle page» dans les relations entre son pays, marquée du sceau de la «confiance mutuelle» et du «dialogue constructif». Une main tendue, ignorée. En 2018, le souverain avait proposé à l'Algérie un nouveau «mécanisme politique conjoint de dialogue et de concertation» pour relancer des relations qui «échappent à la normalité, créant, de fait, une situation inacceptable». Cette offre n'avait pas reçu de réponse. «Les frontières avec le Maroc resteront-elles fermées ? Oui. On ne peut pas ouvrir les frontières avec un vis-à-vis qui vous agresse quotidiennement» tonne-t-il. Sur le dossier du Sahara, il considère que le Maroc «devrait revenir rapidement à une solution acceptable conforme au droit international. Entre l'Algérie et le Maroc, le Sahara a toujours été une pomme de discorde mais pas un casus belli.» Sur la reconnaissance de la marocanité du Sahara par Trump , Tebboune affirme que «cette (décision) ne veut rien dire». Ce réveil de l'esprit guerrier et ces déclarations martiales constituent un désappointement amer pour le régime algérien, qui privilégie dans ses relations avec Rabat une paix armée nourrie de la défiance et l'irritation. «Depuis qu'Abdelmadjid Tebboune est au pouvoir, il y a une escalade dans la répression» a déclaré en novembre 2020 la défenseur des détenus d'opinion et présidente de l'Union pour le changement et le progrès (UCP), Zoubida Assoul, commentant la première année de mandat du président algérien. Mais à lire l'entretien accordé par le chef du régime algérien au journal le Point, le déni est réel, terrible : «Le Hirak a permis de stopper la déliquescence de l'Etat en annulant le cinquième mandat, qui aurait permis à la «issaba» [le «gang», conglomérat d'oligarques et de hauts responsables, NDLR], ce petit groupuscule qui a phagocyté le pouvoir et même les prérogatives de l'ex-président en agissant en son nom, de gérer le pays. Il n'y avait plus d'institutions viables, seuls comptaient les intérêts d'un groupe issu de la kleptocratie. Il fallait donc reconstruire la République, avec ce que cela implique comme institutions démocratiques» Un pilier du système qui renie le système, et qui a organisé plusieurs réunions du Haut-Conseil de sécurité (HCS), qui regroupe les principaux hauts responsables de l'Etat, notamment le premier ministre, le ministre des affaires étrangères, son collègue de l'intérieur et le chef d'état-major de l'armée et le patron de la gendarmerie, afin de maintenir son emprise sur un pays gravement malade. Abdelmadjid Tebboune a décidé d'organiser des élections législatives anticipées le 12 juin alors qu'une grave crise politique et socio-économique ébranle son pays. Mais les hirakistes (qu'il loue pourtant) dénoncent à chaque rassemblement (désormais réprimés) un scrutin qualifié de «mascarade». Le texte vise spécifiquement le Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK, indépendantiste), interdit, et le mouvement islamo-conservateur Rachad, qui n'a pas d'existence légale en Algérie. « L'Etat sera intransigeant face à ces dérapages, qui sortent du cadre de la démocratie et des droits de l'homme », a averti Tebboune. Le président algérien fuit l'essentiel des questions : la déplorable nécessité de recourir systématiquement à un faux ennemi pour fuir ses responsabilités, la dissipation des ressources du pays la négation des droits des citoyens, etc. Le régime algérien est une entité qui ne sait pas s'administrer, qui gouverne mal ses finances, se frappe par cela même d'incapacité et se prive des moyens de soutenir ses ambitions. Un régime qui n'a pas le goût ou la capacité de l'industrie dans ses diverses branches, chez lequel la politique doit être populiste, qui par cela seul est inhabile à créer de la richesse. Le régime algérien est condamné par son impuissance même ou son incurie à s'abstenir de ce qui est possible. La guerre des mots sans nécessité contre le Maroc est une faute de la part de Tebboune; elle est une énormité et une occasion presque infaillible de désastre moral. L'interview du président Tebboune n'était pas entièrement sombre, elle contenait cette réponse amusante, mais révélatrice de l'esprit utopiste qui règne à la tête du régime algérien : «L'Algérie a commencé à vacciner en janvier, avant presque tous les pays africains. Les vaccins sont justement là pour ceux qui en font la demande. Quant au rythme de la vaccination, il suit le bon vouloir des Algériens, car nous ne voulons pas l'imposer. Mais nous allons lancer de grandes campagnes de sensibilisation, car le fait que l'Algérie ait été relativement peu impactée dissuade les gens d'aller se faire vacciner.»