L'arrestation de l'opposant Ousmane Sonko, inculpé dans une affaire de viols présumés, a déclenché des troubles qui ont fait au moins cinq morts. Un juge sénégalais a inculpé, lundi 8 mars, le principal opposant au pouvoir, Ousmane Sonko, dans une affaire de viols présumés, mais l'a relâché sous contrôle judiciaire, alors que son arrestation a provoqué les heurts les plus graves qu'a connus le pays depuis des années. M. Sonko «est inculpé dans le dossier de viols et placé sous contrôle judiciaire», a déclaré à la presse l'un de ses avocats, Me Cira Clédor Ly. «Il rentre chez lui. Il est libre», a précisé un autre conseil, Me Etienne Ndione, après la présentation de son client au juge. Ce rendez-vous avec le juge était lourd d'enjeux autres que judiciaires. Il coïncidait avec un appel à manifester lancé par un collectif de contestation auquel appartient le parti d'Ousmane Sonko. Après trois jours d'affrontements, de saccages et de pillages depuis son arrestation le 3 mars, des blindés de l'armée ont pris position dans Dakar en prévision de cette journée à hauts risques dans la capitale et dans tout le pays de 16 millions d'habitants, considéré d'ordinaire comme un îlot de stabilité politique. Une foule de plusieurs dizaines de sympathisants que les policiers avaient tenus à distance jusqu'alors a envahi le parvis du tribunal en exultant et en lançant des slogans à la gloire d'Ousmane Sonko. «C'est la victoire de la jeunesse et de la vérité. Ousmane est le futur président du Sénégal», s'est exclamé Amadou Kébé, vendeur, qui disait être venu de loin pour soutenir Ousmane Sonko. Ousmane Sonko crie au complot M. Sonko, arrivé troisième à l'élection présidentielle de 2019 et pressenti comme un des principaux concurrents de l'élection de 2024, a été arrêté mercredi, officiellement pour trouble à l'ordre public, alors qu'il se rendait en cortège au tribunal où il était convoqué pour répondre à des accusations de viol portées contre lui par une employée d'un salon de beauté dans lequel il allait se faire masser pour, dit-il, soulager ses maux de dos. Personnalité au profil antisystème, le député crie au complot ourdi par le président lui-même pour l'écarter de la prochaine présidentielle. L'arrestation de M. Sonko a provoqué la colère de ses partisans et déclenché dans la capitale, Dakar, et dans tout le pays des affrontements entre jeunes et forces de l'ordre, des saccages et des pillages. Elle a aussi, disent de nombreux Sénégalais, porté à son comble l'exaspération accumulée par la dégradation, au moins depuis le début de la pandémie de la Covid-19, en 2020, des conditions de vie dans un pays déjà pauvre. Au moins cinq personnes ont été tuées dans les heurts de la semaine passée. Le collectif Mouvement de défense de la démocratie (M2D), comprenant le parti de l'opposant, des formations d'opposition et des organisations contestataires de la société civile, a appelé «à descendre massivement dans les rues» à partir de lundi et pendant trois jours. Devant le risque d'escalade, huit blindés de l'armée surmontés de mitrailleuses ont été positionnés sur la place de l'Indépendance, centre du quartier névralgique du Plateau, siège des grandes institutions, dont la présidence. Cette dernière était elle-même placée sous haute protection et ses accès barrés. D'autres blindés encore stationnaient auprès du port et à l'entrée d'un quartier populaire, théâtre d'affrontements la semaine passée. Trouver les voies de la désescalade L'activité était considérablement ralentie dans la capitale visiblement inquiète. Les autorités ont suspendu l'école pendant une semaine. L'incertitude demeure quant à l'effet qu'aura la libération de M. Sonko et quant au comportement qu'il adoptera. Un rassemblement était annoncé dans l'après-midi dans la capitale. Mais une grande partie de la contestation a échappé jusqu'alors à toute organisation. Les différentes parties, à commencer par le président, sont pressées de toutes parts de trouver les voies de la désescalade. Le président a démenti, fin février, être pour quoi que ce soit dans les ennuis judiciaires de M. Sonko. M. Sall, confronté à des décisions délicates entre l'indépendance proclamée de la justice, la pression de la contestation et de la pandémie et les conséquences politiques du sort de M. Sonko, a depuis gardé le silence en public sur l'affaire. Son ministre de l'intérieur a prévenu que l'Etat emploierait tous les moyens nécessaires pour rétablir l'ordre. Il a aussi fait miroiter un allègement du couvre-feu instauré contre la pandémie. Le médiateur de la République, Alioune Badara Cissé, a pressé le chef de l'Etat de sortir de son silence pour s'adresser aux jeunes, ajoutant sa voix aux appels de l'Organisation des Nations unies (ONU) ou des organisations africaines à toutes les parties pour chercher les solutions d'une désescalade. Les Sénégalais «veulent vous entendre, pourquoi diable ne leur parlerez-vous pas ?», a demandé devant la presse cet ancien proche collaborateur et ministre de M. Sall, volontiers critique du pouvoir : «Faites-le avant qu'il ne soit trop tard.» Exprimant leur «préoccupation», les ambassades de l'Union européenne (UE) et de ses Etats membres, mais aussi du Royaume-Uni, de la Suisse, des Etats-Unis, du Canada, de la Corée du Sud et du Japon ont appelé à «une restauration pacifique du calme et du dialogue », soulignant que «le Sénégal a une longue histoire d'Etat de droit, de démocratie participative, de tolérance et de respect des droits humains». Plus que ces incitations internationales, ce sont celles des chefs religieux, chrétiens et surtout musulmans, qui risquent de peser. Leurs émissaires, en particulier ceux des khalifes à l'influence considérable sur le pouvoir et la société, ont rencontré le chef de l'Etat, a rapporté, dimanche, en leur nom le dignitaire Serigne Mansour Sy. M. Sall «nous a écoutés et nous attendons ses décisions», a-t-il dit.