Le projet de monnaie unique des quinze pays de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) peut ne jamais voir le jour. Il aurait fallu créer en quelques mois une banque centrale, décider du régime de change, fabriquer pièces et billets, adapter les systèmes informatiques et les administrations... Serpent de mer monétaire dont on parle depuis trente ans, l'éco devait être lancé en 2020. Mais à trois mois de la fin de l'année, l'hypothétique future monnaie unique ouest-africaine est au point mort. L'annonce en 2019 par les chefs d'Etat de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédeao) de l'implantation de la nouvelle devise dès l'année suivante semblait irréaliste : il fallait en quelques mois créer une banque centrale, décider du régime de change, fabriquer pièces et billets, adapter les systèmes informatiques et les administrations... Ce que l'Europe a mis une quinzaine d'années à faire pour lancer son euro. La crise du Covid-19 a eu raison de ce calendrier, s'ajoutant à la confusion et la crise interne créée par le changement annoncé du franc CFA en éco par les huit pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), membres de la Cédéao, au grand dam du Nigeria et des pays anglophones de la zone. Un changement toujours pas effectif, lui non plus, alors qu'il était annoncé pour juillet. Résultat, lors du dernier sommet de la Cédéao à Niamey début septembre, le président nigérien Mahamadou Issoufou a exhorté ses homologues «à élaborer une nouvelle feuille de route tout en maintenant une approche graduelle pour le lancement de la monnaie commune». Un enterrement de première classe ? «Non, ce n'est pas un enterrement, c'est un report», veut croire Yao Prao, professeur d'économie à l'université de Bouaké (Côte d'Ivoire), selon lequel le président ivoirien Alassane Ouattara a évoqué un délai de cinq années supplémentaires. Une instabilité monétaire redoutée «C'est une question de volonté politique. Cinq années suffisent pour y arriver», estime-t-il, en dépit des «discordances» entre les pays, exprimées notamment par le Nigeria, poids lourd des quinze pays de la Cédéao, avec 180 millions d'habitants sur 300, et 60 % du PIB de la zone. Le Nigeria exige, pour s'engager dans une véritable union monétaire, que les pays de la zone du franc CFA rompent totalement leurs liens avec la France, donc aillent au-delà de la «réforme» annoncée. Les pays de la zone franc redoutent eux de tomber dans l'instabilité monétaire que connaissent leurs voisins de la Zone monétaire d'Afrique de l'Ouest (ZMAO), qui ont chacun leur monnaie. «C'est une bonne chose pour les pays ouest-africains d'avoir une monnaie unique. Cependant, il faut avoir un débat sur les critères de convergence (inflation, dette, déficit public) : ne cherchons pas à mimer l'Europe. La mise en place d'une monnaie unique ne doit pas conduire à une politique d'austérité au détriment de la croissance et de l'emploi», analyse Yao Prao. La crise économique générée par l'épidémie de coronavirus, avec une chute de la croissance en Afrique de l'Ouest, a de toute façon mis à mal le respect de ces critères de convergence. Pour l'économiste et ancien ministre ivoirien Daniel Anikpo, l'éco «ne va pas se faire», car «il n'y a pas la volonté politique». «Lorsque j'étais ministre en 2000, on parlait déjà d'un délai de cinq ans, témoigne ce partisan d'une monnaie commune souveraine ouest-africaine. Nous ne pouvons pas attendre pendant mille ans que soient réglées les incompatibilités des uns et des autres !»