Le Maroc a officiellement formulé une demande d'intégration à la Communauté Economique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Que pourrait-il gagner en intégrant ce marché de 320 millions d'habitants et dont le PIB global des Etats membres s'élève à 700 milliards de dollars US, ce qui en fait la 20ème puissance économique du monde ? Vendredi 24 février 2017, dans un communiqué du ministère des Affaires Etrangères envoyé à Ellen Johnson Sirleaf, présidente en exercice de l'organisation, le Maroc a demandé d'adhérer à la Communauté Economique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), où il jouit déjà depuis plusieurs années d'un statut d'observateur. Pour les observateurs, cette volonté du Maroc d'intégrer ce groupement régional, en tant que membre à part entière, n'est pas surprenante. Selon eux, cette démarche qui intervient un mois après le retour du Maroc au sein de l'Union Africaine (UA), est le symbole de la pugnacité du Royaume dans son offensive africaine. Une logique sans ambiguïté Quoi qu'il en soit, c'est fort de son rang de premier investisseur en Afrique de l'Ouest que le Royaume a formulé officiellement sa demande. Dans la lettre transmise à la présidence de la CEDEAO, il met en avant ses « liens forts aux niveaux politique, humain, historique, religieux et économique avec les pays membres de la CEDEAO (...), renforcés aux cours des dernières années, à travers les 23 visites Royales dans 11 pays de la région » sans compter les centaines de contrats d'investissements signés dans la foulée. Objectif affiché : poursuivre l'intégration régionale du Maroc et contourner une Union du Maghreb Arabe (UMA) « éteinte », selon les termes de SM le Roi Mohammed VI dans son discours au sommet de l'Union Africaine. Le Maroc demande ainsi à prendre pleinement part aux décisions économiques ouest-africaines, mais aussi, pourquoi pas, à participer aux décisions politiques en matière de maintien de la paix. Signe de cet engagement, depuis son retour au sein de l'UA il y a un mois, le Souverain poursuit ses tournées marathons sur le continent avec en toile de fond des visites en Afrique de l'Ouest, notamment au Ghana, en Guinée Conakry et présentement en Côte d'Ivoire. Aujourd'hui, si l'adhésion de tous les membres de la CEDEAO date de la création de l'organisation en 1975, à l'exception du Cap-Vert qui l'a rejointe une année plus tard, force est de souligner que rien dans les textes n'empêche une adhésion du Maroc, même si certains Etats membres pourraient nourrir quelques craintes d'être envahis par les produits marocains jugés très compétitifs comme ce fut le cas lors des négociations de l'accord de libre-échange entre le Royaume et l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) dont les 8 pays qui la composent sont également membres de la CEDEAO. En fait, le gap industriel et technologique qui existe entre le Maroc et les pays de l'UEMOA n'était pas étranger au retard de ratification d'un accord de libre-échange entre les deux parties. En Afrique de l'Ouest, les opérateurs économiques sont conscients de cette réalité. C'est pourquoi, ils voulaient à l'époque plus de garantie pour protéger les productions locales. Du côté marocain, on estimait que le gap industriel existant entre le Maroc et ses partenaires qui sont des PMA (Pays moins avancés) est pris en compte dans les négociations, étant donné que le principe de l'asymétrie dans l'échange des préférences est retenu. D'ailleurs, il est à rappeler que les 34 PMA d'Afrique, dont des pays membres de la CEDEAO, bénéficient depuis 2001 de l'initiative Royale portant sur l'exonération totale de droits d'importation pour une liste de produits de base regroupant : le bois, le coton, le café, les peaux brutes, le cacao, l'ananas, les goyaves, les mangues, les noix de coco, l'or et le diamant. Un calendrier à l'appui Aujourd'hui, avec cette nouvelle demande d'adhésion, le ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération a déjà rassuré tout le monde : « La demande du Maroc se fait en conformité avec les dispositions du traité fondateur de la CEDEAO, et en satisfaction totale de ses critères d'adhésion ». Elle vient couronner les liens politiques et économiques qui existent déjà avec les 15 Etats membres de l'organisation (Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Côte d'Ivoire, Liberia, Mali, Niger, Nigéria, Sénégal, Sierra Leone et Togo). Comme pour passer à l'acte, le président de la Commission de la CEDEAO, Marcel Alain De Souza, venu participer à Rabat au forum « Arab Africa Trade Bridges », organisé les 22 et 23 février 2017 dans la capitale, a donné en marge de cet événement un avant goût de ce que sera le processus d'adhésion du Maroc à l'organisation sous régionale. Une équipe chargée de l'élaboration d'un programme de rencontres entre le Maroc et la CEDEAO sera mise en place, a-t-il annoncé. Pour ce Béninois qui est aux manettes de la CEDEAO depuis avril 2016, « Ces rencontres porteront sur plusieurs domaines, notamment les infrastructures, les routes, le secteur maritime, l'aérien, ainsi que l'agriculture ». L'ancien ministre du Développement, de l'Analyse Economique et de la Prospective du Bénin a invité le Maroc à appuyer la prise de participation au capital de la Banque d'investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC). « Nous sommes déjà en contact avec la BMCE Bank of Africa pour qu'elle prenne une partie du capital de la BIDC. Ce qui permettra d'avoir une ligne de crédit pour l'import-export et favoriser les échanges commerciaux », a indiqué le président de la Commission de la CEDEAO. Au-delà, il faut dire que le Maroc viendrait apporter sa plus-value à la structure sous-régionale, en la rendant beaucoup plus puissante. Car avec les 115 milliards de dollars US de PIB du Maroc, la CEDEAO dont le PIB global des Etats membres tourne autour de 700 milliards de dollars US, dépasserait la Turquie et s'approcherait de l'Indonésie en termes de PIB. Mais quels enjeux pour un tel changement de paradigme ? Et que pourrait gagner le Maroc en intégrant cette communauté ? Carte d'identité de la CEDEAO La CEDEAO est une organisation intergouvernementale ouest-africaine créée le 28 mai 1975. C'est la principale structure destinée à coordonner les actions des pays de l'Afrique de l'Ouest. Son but principal est de promouvoir la coopération et l'intégration. En 1990, son pouvoir est étendu au maintien de la stabilité régionale avec la création de l'ECOMOG, groupe militaire d'intervention qui devient permanent en 1999. La CEDEAO compte aujourd'hui 15 Etats membres. Elle est composée de huit institutions principales : la Conférence des Chefs d'Etat et du gouvernement, le Conseil des ministres, le Parlement de la Communauté, le Conseil économique et social, la Cour de justice de la Communauté, la Commission, la Banque d'investissement et de développement de la CEDEAO et l'Organisation Ouest-Africaine de la santé. Des avantages pour l'économie marocaine Avec son ambition économique clairement portée par la vision du Souverain, le Maroc a tout à gagner d'une adhésion à la CEDEAO. Les barrières douanières levées et le TEC (tarif extérieur commun) seront de formidables outils pour l'économie du Royaume. Actuellement avec le TEC entré en vigueur depuis le 1er janvier 2015 dans l'espace CEDEAO, certains produits marocains se sont renchéris alors que d'autres sont plus compétitifs. Si les engrais minéraux et chimiques sont à zéro droit de douane (la CEDEAO cherche ainsi à encourager leur usage puisqu'elle s'est fixée comme objectif d'atteindre 50 kg/hectare d'engrais), en revanche, sur d'autres produits, les opérateurs marocains ont perdu en compétitivité de l'application de la TEC. Dans le cas du ciment, les droits de douane pour le ciment clinker en particulier sont passés à 35%. Ce produit est généralement exporté vers trois pays, à savoir le Ghana, la Sierra Leone et la Côte d'Ivoire. Il était à des taux de zéro droit de douane dans les deux premiers pays et de 10% dans le troisième. La farine de froment, le troisième produit exporté par le Maroc, est aujourd'hui à 35% de droits de douane. Du coup, les opérateurs marocains devront payer un surplus de 9,4 millions de dollars si le niveau des ventes reste le même qu'en 2013. Certains médicaments ont également vu leur droit de douane augmenter de zéro à 20%. Dans le cas des véhicules à usage spécial, les tarifs ont doublé (10%) alors que ceux des sucreries sans cacao sont passés au niveau maximum (35%). C'est dire qu'en intégrant la CEDEAO, c'est tout bénef pour les produits marocains et les industries marocaines qui délocalisent une partie de leur production. « Globalement, le Maroc n'exporte pas beaucoup sur les pays de la CEDEAO parce que nous n'avons pas d'accords de libre-échange. Et le véritable progrès viendrait de l'adhésion à cette communauté », indique un opérateur économique. C'est donc logiquement que le Maroc se lance sur ce marché extrêmement prometteur de 330 millions d'habitants. Globalement, cet espace est plus une zone de consommation et d'importation que de production et d'exportation. Les entreprises marocaines s'y imposent déjà de plus en plus, dans des secteurs clés tels que le BTP, les banques et les assurances. Elles sont suffisamment compétitives et le seront davantage avec l'adhésion. Car, la CEDEAO a déjà instauré la libre circulation et ambitionne de mettre en place une monnaie unique à l'horizon 2020. En effet, cette idée d'une monnaie commune existe depuis le fondement de l'organisation. Le projet a commencé à être plus sérieusement discuté en 1999, lorsque les chefs d'Etat de la CEDEAO ont adopté une feuille de route pour accélérer l'intégration régionale et de doter l'Afrique de l'Ouest d'une monnaie commune. La première étape de cette stratégie est de créer la Zone Monétaire d'Afrique de l'Ouest (ZMAO) qui regroupe la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Nigeria et la Sierra Leone. La deuxième étape est de fusionner en 2020 la ZMAO avec l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) qui unit d'ores et déjà les pays utilisant le Franc CFA, soit le Bénin, le Burkina, la Côte-d'Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. De cette fusion pourrait naître la zone monétaire commune à l'horizon de 2020. Outre les motivations politiques, ce projet de monnaie unique est soutenu par la Banque africaine de développement (BAD). Cette dernière considère que cette union monétaire est nécessaire à l'approfondissement de l'intégration régionale entre les Etats membres. Alors qu'à l'heure actuelle huit monnaies différentes circulent au sein de la CEDEAO, la mise en place d'une devise commune devrait en effet faciliter les échanges. Il s'agirait également de pouvoir faciliter la résolution des problèmes monétaires par le biais d'une politique centralisée qui devrait stabiliser la région et lui permettre de mieux résister aux chocs systémiques internationaux. Importations du Maroc en provenance d'Afrique subsaharienne : produits champions, 2008-2014 Volume des échanges commerciaux entre le Maroc et l'Afrique Subsaharienne, 1999-2014 (en millions de dollars US)