Des centaines de personnes ont manifesté mercredi devant le tribunal de Béjaïa en Algérie pour réclamer la libération de trois militants du « Hirak », le mouvement populaire antirégime, dont le procès a été reporté au 1er juillet, selon des sources concordantes. « Le procès de Merzoug Touati, Yanis Adjila et Amar Beri a été reporté au 1er juillet et la liberté provisoire refusée », a déclaré Saïd Salhi, vice-président de Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (LADDH). Deux manifestations de soutien, rassemblant des centaines de sympathisants et relayées sur les réseaux sociaux, se sont déroulées dans le calme à Béjaïa (nord-est), grande ville de Kabylie, l'une devant le tribunal et l'autre dans le centre-ville. Les trois accusés ont été arrêtés vendredi lors d'une tentative de meeting de soutien aux détenus d'opinion, rapidement réprimée par la police. Ils ont été placés sous mandat de dépôt. Ils sont poursuivis pour « incitation à attroupement non armé », « publication pouvant porter atteinte à l'intérêt national » et « mise en danger de la vie d'autrui durant la période du confinement ». Amar Beri est également poursuivi pour « atteinte à la personne du président de la République » et « outrage à corps constitué ». Ancien détenu, Merzoug Touati est un blogueur et journaliste du média de gauche L'Avant-Garde Algérie, un site en ligne bloqué dans le pays. Yanis Adjila est un militant des droits humains et Amar Beri un militant du « Hirak ». Dans un communiqué daté de New York, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a exhorté les autorités algériennes à libérer « immédiatement » Merzoug Touati et abandonner toutes les poursuites judiciaires contre lui. « Les autorités en Algérie doivent cesser d'exploiter la pandémie de Covid-19 comme un prétexte pour réprimer la liberté de la presse au lieu de libérer les détenus politiques dans les prisons surpeuplées du pays », a commenté Sherif Mansour, coordinateur du programme du CPJ pour la région Moyen-Orient/Afrique du Nord. Toute forme de rassemblement est strictement interdite depuis mi-mars en Algérie en raison du Covid-19. Mais l'épidémie n'empêche pas les autorités de pourchasser, poursuivre en justice et condamner à un rythme accéléré militants du « Hirak », opposants politiques, journalistes et internautes. Le juge d'instruction du tribunal de Dar El Beida à Alger a placé mercredi le journaliste et blogueur Fodil Boumala sous mandat de dépôt. Son procès est programmé le 21 juin, selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD). Interpellé dimanche à Alger par des policiers en civil, Fodil Boumala est accusé d' »incitation à attroupement non armé », « outrage à corps constitué » et « publications pouvant porter atteinte à l'intérêt national », précise le CNLD. M. Boumala a déjà été condamné puis relaxé pour « atteinte à l'unité nationale ». Mais le parquet a interjeté appel. L'appel a été renvoyé au 30 juin. De son côté, Ali Djamel Toubal, correspondant du groupe de médias privée Ennahar à Mascara (nord-ouest) a été condamné en comparution immédiate à deux ans de prison ferme pour « outrage à corps constitué » et « publications Facebook pouvant porter atteinte à l'intérêt national », selon le CNLD. Ce père de trois enfants, âgé de 47 ans, a eu un malaise à l'énoncé du verdict. Le procureur avait requis trois ans de prison avec mise sous mandat de dépôt, a précisé son avocat Me Mustapha Bouchakour qui fera » appel dès jeudi ». Ali Djamel Toubal, 47 ans, a été jugé pour des publications sur Facebook et condamné sur la base d'un nouveau code pénal dénoncé par les militants des droits de l'Homme. M. Toubal a notamment publié et commenté des photos montrant des policiers molestant des hirakistes. Par ailleurs, le CNLD a fait état de l'interpellation d'une opposante connue, Amira Bouraoui, ex-militante du mouvement Barakat (« Ça suffit! ») qui s'était imposé sur la scène politique en 2014 en incarnant l'opposition à un 4e mandat du président Abdelaziz Bouteflika, aujourd'hui déchu. Aucune information n'a filtré sur les motifs de l'interpellation de Mme Bouraoui. Selon le CNLD, près de 70 détenus d'opinion sont actuellement derrière les barreaux. Né en février 2019 d'un immense ras-le-bol des Algériens, le « Hirak » a ébranlé le régime jusqu'à la suspension des manifestations hebdomadaires en raison de la crise sanitaire. Mais avec le début du confinement, des mobilisations sporadiques ont repris ces dernières semaines, surtout en Kabylie, région traditionnellement rétive.