Dans le 20ème discours du Trône, le Monarque a annoncé un remaniement ministériel pour la rentrée. 66 jours se sont écoulés sans que le Chef du gouvernement soumette au Souverain les noms des candidats susceptibles d'occuper des fonctions ministérielles. Comment peut-on donc qualifier l'approche choisie par le Chef du gouvernement pour mener les négociations pour le remaniement ministériel réclamé cet été par le Roi ? Ce retard de 66 jours annonce-t-il un potentiel blocage gouvernement ? Aura-t-il un grand impact sur la Loi de Finances 2020 ? Réponses avec Rachid Lazrak, expert en droit constitutionnel et spécialiste des affaires parlementaires et partisanes. Comment peut-on décrire l'approche choisie par le Chef du gouvernement pour mener les négociations pour le remaniement ministériel réclamé cet été par le Roi ? Afin de décrire l'approche choisie par El Othmani pour mener les négociations pour le remaniement ministériel, il serait judicieux de faire un parallèle entre le credo politique de l'ancien Chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, et le mode opératoire approprié par El Othmani. En effet, Benkirane menait constamment des négociations serrées avec les partis majoritaires, des discussions qui ont été souvent marquées de rusticité et d'agressivité dans le but d'avoir le dessus sur le gouvernement. Toutefois, El Othmani a dû changer de ton étant donné que le régime politique marocain considère le pluralisme politique comme un rouage essentiel de la vie démocratique. Il a prévu des consultations individuelles avec les chefs des partis de la majorité en prévision de l'imminent remaniement ministériel tant attendu. Cette approche lui permettra d'empêcher qu'une coalition soit formée puisqu'il mise sur un enclenchement de conflits d'intérêts. Même si cette approche reflète une certaine intelligence politique d'El Othmani, elle se contredit, en même temps, avec le principe de solidarité gouvernementale. En effet, le premier gouvernement d'El Othmani a montré plusieurs signes de faiblesse quant à ce principe de solidarité ministérielle à travers une multitude de querelles entre les partis politiques composant le gouvernement. Ainsi, le Chef du gouvernement est tenu aujourd'hui à faire en sorte que le prochain gouvernement ait, coûte que coûte, cette solidarité. Ce qui est sûr est qu'El Othmani a pleinement conscience qu'il y a des réglages à opérer dans son gouvernement. C'est une nécessité pour incarner le nouveau souffle des réformes soulevées par le Monarque dans ses derniers discours. Est-ce que le spectre d'un potentiel blocage gouvernemental plane sur le Maroc ? Pour le moment, rien ne confirme qu'il y aura un blocage économique prochainement. Toutefois, si les partis politiques décident de faire front commun contre le Chef de gouvernement, il se peut qu'un blocage ait lieu. D'ailleurs, on peut deviner clairement, suite aux nombreuses sorties médiatiques d'Aziz Akhannouch et de Driss Lachgar ainsi que de plusieurs bruits de couloir que ces deux politiciens ont opté pour allier leurs forces. Dans le cas d'un blocage qui pourrait entraver le fonctionnement régulier des institutions constitutionnelles, le Roi pourrait écarter El Othmani et proclamer par dahir l'état d'exception et ce, conformément à l'article 59 de la constitution. En ce mois d'octobre, la Loi de Finances 2020 doit être en préparation finale pour qu'elle entre en vigueur. Toutefois, elle n'a pas été encore finalisée. Est-ce que vous pensez que le retard dans le remaniement ministériel a un impact sur la finalisation de LF 2020 ? Effectivement, le retard dans le remaniement ministériel a un impact considérable sur la finalisation de LF 2020. On sait bien que l'année législative 2019-2020 démarre le 11 octobre. Si jamais, on arrive à cette date-là, qui approche, d'ailleurs, à grands pas, sans que le nouveau gouvernement soit formé, l'avenir de cette Loi de Finances sera incertain. Il faut savoir que la LF 2020 est supposée être finalisée en juillet pour être validée par le ministère des Finances en octobre. Toutefois, pour le moment, on ne sait pas qui sera chargé de l'élaboration finale de cette loi. Est-ce que les actuels ministres auront cette mission sachant que rien ne dit qu'ils garderont leurs postes ministériels ? Ont-ils les compétences nécessaires pour ceci ? Ce qui est sûr est que pour le moment, le remaniement est toujours en gestation, et comme le sort de la Loi de Finances est lié à ce projet de remaniement, l'avenir de la LF s'avère donc encore obscur. Il semble ainsi que le retard dans le remaniement ministériel fait maintenir l'attentisme. Alors qu'il doit refléter un moyen d'ériger l'action gouvernementale en une nouvelle étape, il ne fait que traduire un ensemble de conflits entre les partis politiques. Aujourd'hui, le Maroc se trouve face à plusieurs défis surtout ceux d'ordre économique, à savoir le repli de l'économie nationale et le recul de l'investissement. Il faut que le Chef du gouvernement se presse pour que le nouveau gouvernement soit formé le plutôt possible pour qu'il puisse trouver des solutions palpables mais surtout qui vont de pair avec la vision du nouveau modèle de développement.