Après le verdict sur l'affaire Hajar Raissouni, prononcé lundi, responsables politiques et acteurs de la vie civile ont appelé à la construction d'un régime pénal protecteur des libertés. La journaliste Hajar Raissouni, 28 ans, a été condamnée le 30 septembre à un an de prison sans sursis pour «avortement illégal» et «relations sexuelles hors mariage». Arrêtés et jugés simultanément avec elle, son gynécologue a écopé de deux ans de prison ferme et son fiancé soudanais d'un an ferme. L'anesthésiste a été condamné à un an de prison avec sursis et une secrétaire à huit mois avec sursis. En marge de cette condamnation, des personnalités de tous les bords ont réclamé une reconfiguration des frontières du privé, de l'intime, et du public, et une refonte du code pénal ; Une refonte qui doit être conforme aux principes sur lequel repose l'Etat de droit. L'émotion après la décision du juge était générale, le choc aussi. «Le droit n'a pas à sanctionner les activités du corps» a déclaré la militante Ibtissam Lachgar du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI), qui dénonce le fait que «les choix procréatifs des femmes marocaines soient remis en question». Omar Balafrej regrette que les libertés individuelles fassent «un front secondaire dans le domaine des droits» gérées par «des lois lacunaires», déclarant insoutenable «l'attentisme en matière de libertés publiques». Au-delà des figures de la société civile ou politique, sur la toile c'est un déferlement de publications sur le droit de la femme à disposer de son corps et bien au delà, sur le droit à la libertés des relations hors mariage et sur le droit aux homosexuels à vivre leur leur sexualité sans être inquiétés. L'ancien chef du gouvernement Abdelilah Benkirane a exprimé, hypocritement «sa surprise» après le jugement rendu, l'estimant «inattendu» et «très douloureux». Ce sont bien les islamistes qui s'opposent en premier lieu à toute velléité, des associations de défense des droits des Hommes à la liberté de disposer de son corps tel qu'établi par les conventions internationales. «C'est un jugement importun dont l'effet est immense», a-t-il confessé. Pourtant, le jugement rendu hier est le fait des positions sans appel de son passage à la tête du gouvernement ainsi que de celui de El Othmani. Pour sa part, l'ancienne ministre Nouzha Skalli regrette «la judiciarisation et pénalisation des situations où les jeunes se trouvent en proie à des réalités difficiles» appelant à ce que «la modification espérée du droit pénal aille dans un sens plus protecteur des droits fondamentaux.» La romancière et lauréate du prix Goncourt en 2016 Leïla Slimani affirme que «le jugement est une condamnation du droit de disposer de son corps, partie intégrante des libertés individuelles.» Salah El Ouadie, membre du bureau exécutif du mouvement Damir, a déploré «un verdict de mauvais augure» qui ne contribue pas «au progrès des droits au Maroc.» La défense de la journaliste a déclaré qu'elle allait faire appel, tout comme Meriem Moulay Rachid, l'avocate du gynécologue. «Ce procès n'avait pas lieu d'être, la débauche (relations sexuelles hors mariage, NDLR) et l'avortement n'ont été ni prouvés ni attestés», a déclaré, navré, l'avocat de la journaliste, Abdelmoula El Marouri, à l'issue du verdict. L'interruption volontaire de grossesse ne dispose au Maroc que d'un édifice légal fragile, juge le mouvement Anfass, qui a émis des propositions pour la dépénalisation de l'avortement et l'amélioration des conditions dans lesquelles cet acte est réalisé. La co-initiatrice du manifeste des 490 qui appelle à la libéralisation de l'IVG et à renforcer les libertés individuelles, Sonia Terrab, s'est déclarée «outrée» et «attristée» par le verdict issu de l'affaire de Hajar Raissouni. Des dizaines de journalistes et représentants d'ONG étaient présents dans la salle d'audience. Plusieurs voix ont mis en cause la logique conceptuelle de la législation pénale en matière de libertés, mettant en évidence le caractère discriminatoire des infractions contre l'intégrité sexuelle. Au Maroc, les arrestations dans les affaires d'avortement concernent les praticiens et très rarement les patientes, affirme Chafik Chraïbi, président de l'Association marocaine contre les avortements clandestins.