«En tant que femme vivant en Afrique du Sud, les probabilités que vous soyez abusée, violée, violentée, sont tellement élevées, que l'on vit tout le temps dans la peur. On en a toujours conscience». C'est en ces propos poignants que Puno Selesho, une poétesse du pays de Nelson Mandela, résume la situation de la femme dans ce pays plus de deux décennies après la fin du régime de la ségrégation raciale et l'avènement de la démocratie. Selon les récentes études internationales, le taux de meurtre de femmes en Afrique du Sud est cinq fois plus élevé que la moyenne mondiale. Les chiffres sont accablants. Des études nationales indiquent que toutes les trois heures, une femme est assassinée dans le pays. Au seul mois d'août dernier, 30 femmes ont été tuées. La société sud-africaine semble commencer à prendre conscience de ce fléau qui s'ajoute à tant d'autres qui nuisent à l'image d'une Afrique du Sud que le monde donnait comme modèle naissant de démocratie africaine durant les premières années qui avaient suivi la fin de l'apartheid en 1994. Mercredi, des centaines de Sud-Africains, femmes et hommes, jeunes et moins jeunes, ont saisi l'occasion de la tenue dans la ville du Cap du Forum Economique Mondial sur l'Afrique, pour exprimer haut et fort leur condamnation des violences contre les femmes. Les manifestants ont bloqué l'entrée au centre où se tenait le Forum dans le but de faire entendre leur message et pousser le gouvernement dirigé depuis 1994 par le Congrès National Africain (ANC) à prendre des mesures efficaces pour mettre fin aux violences contre les femmes. De nouvelles manifestations sont prévues jeudi au Cap. Le meurtre la semaine dernière d'une jeune étudiante de 19 ans a enflammé le débat sur un problème dans un pays déjà rongé par une criminalité incomparable. Les chiffres officiels estiment que près de 60 personnes sont assassinées par jour en Afrique du Sud. Un chiffre qui fait de la nation arc-en-ciel un des pays les plus dangereux au monde. Déjà sous d'énormes pressions par de meurtrières violences xénophobes ciblant les ressortissants africains notamment à Pretoria et Johannesburg, le président sud-africain Cyril Ramaphosa a fait appel, dans une série de tweets, aux citoyens pour contribuer à la lutte contre la violence faite aux femmes. «Notre nation est en crise. Les femmes ne se sentent plus en sécurité chez-elles et dans la rue. Le viol, les abus et les agressions sexuelles sont monnaie courante, souvent commis par des proches. Cette violence nous interpelle tous», a dit Ramaphosa. Au parlement sud-africain, le caucus multipartite chargé des questions de la femme a appelé le gouvernement à se montrer plus agressif dans la lutte contre la violence contre les femmes et les enfants, qui demeurent extrêmement vulnérables dans un pays où la violence a atteint des proportions alarmantes. Nkhensani Kate Bilankulu, qui préside le caucus, a appelé à durcir les peines contre les auteurs des violences contre les femmes. Sur les sites sociaux, des politiciens, des activistes de la société civile et des citoyens ordinaires ont lancé une pétition, appelant à décréter la peine capitale contre les auteurs de ces crimes. Jusqu'à présent, la pétition a été signée par presque 400.000 Sud-Africains, un chiffre qui illustre, selon les initiateurs de la pétition, la prise de conscience de l'ampleur de ce fléau dans le pays. «Les crimes contre les femmes en Afrique du Sud sont devenus un cercle vicieux incontrôlable, où femmes et enfants sont agressés sexuellement et assassinés sans que justice soit rendue à ceux qui sont laissés pour compte. En tant que mouvement, nous devons faire entendre notre voix pour imposer la peine de mort pour les auteurs de ces crimes pour sauver ce pays», lit-on dans le texte de la pétition. En pratique, la réaction du gouvernement à ces revendications est jugée timide. En mars dernier, le président Ramaphosa a signé une déclaration donnant le feu vert à la mise en place d'un conseil national sur les violences contre les femmes. Le processus est critiqué pour sa lenteur. Le manque d'action des autorités ne fait qu'empirer le problème, estiment les experts, qui cite l'exemple du mois d'août dernier qui a connu une hausse inquiétante du nombre de femmes assassinées. Avec un pareil bilan de30 femmes tuées, il devient urgent pour le gouvernement sud-africain de prendre des mesures pour faire face à ces violences inacceptables, indique Lisa Vetten, professeur à l'université Wits de Johannesburg. Au-delà des campagnes de sensibilisation et des promesses politiques sans lendemain, l'Afrique du Sud a besoin de solutions radicales, souligne-t-elle.