Les terrasses des cafés pleines à longueur de journée resteront toujours un mystère. Mais où tous ces gens trouvent-ils le temps pour y passer des heures et des heures, plusieurs jours par semaine ? Bien que cela ne soit pas mon passe-temps favori, je suis contraint ce jour-là de me rendre au café de ma vieille connaissance Ba Jalloul. J'ai besoin de connaître son avis sur un sujet qui me turlupine. Chaque jour, les jeunes descendent dans les rues réclamer du travail. Ils ne se contentent plus de le faire devant le Parlement ou les administrations. Par centaines, Ils manifestent partout dans le pays. Cela dure maintenant des années. Et le mouvement ne semble pas près de cesser. Jusqu'à quand ? Y a-t-il une solution à cet épineux problème ? C'est la question que je voudrais poser à Ba Jalloul. Depuis le temps que je vous parle de lui, vous le connaissez maintenant ce personnage ordinaire qui pourrait être votre voisin de palier, aux convictions puisées dans les épreuves de la vie, aux avis enracinés dans le bon sens populaire. Je sais où le trouver. Il est toujours attablé dans le café voisin à lire la presse, faire les mots croisés et commenter ce qui se trame dans les sphères des gens d'en haut. Il est une des clés du mystère des terrasses des cafés pleines. J'y vais bille en tête : – Ba Jalloul, tu veux bien éclairer ma lanterne. Je t'ai déjà posé cette question à l'époque, le gouvernement venait juste d'entrer en fonction. Peut-être qu'aujourd'hui tu vois un peu plus clair. – C'est quoi la question, dit-il sans quitter son journal des yeux, comme agacé. – Tu la connais. Deux cent mille jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail. La moitié trouve du boulot. Pour les autres, c'est le chômage ! Est-ce que le gouvernement pourra résoudre cette équation ? – Oui, rétorque-t-il du tac au tac. – Comment, demandé-je, incrédule, mais impatient de connaître la réponse. – D'abord, en reconnaissant que les budgets considérables engagés à ce jour n'ont pas atteint leurs objectifs, et qu'il ferait mieux de les réallouer intelligemment. Il n'y a qu'à voir les organisations de la société civile qui encadrent les jeunes promoteurs à un coût dérisoire. – Mais où trouver l'argent ? dis-je, l'air dubitatif. Les caisses de l'Etat sont vides. – L'argent existe, rétorque Ba Jalloul. Il suffit d'aller le chercher là où il est. Je ne réagis pas. J'attends la suite. – D'abord, réduire le train de vie de l'Etat et arrêter l'hémorragie des gros salaires et des primes mirobolantes que rien ne justifie. Ça fera de sacrées économies. Ba Jalloul lève enfin les yeux sur moi. Son regard a un brillant inhabituel. Il poursuit, crispé : – Ensuite récupérer l'argent dilapidé par les indélicats qui confondent l'argent du contribuable avec le leur. Et là, il y a un paquet ! Enfin, se débarrasser de structures qui, un jour, ont été créées pour les copains et les apparatchiks du parti, et réallouer leurs budgets à des fins plus rationnelles. – Et bien, voilà le problème résolu ! jubilé-je. – Pas tout à fait, laisse tomber Ba Jalloul. – Tu viens de me dire où trouver l'argent et où le réallouer…! – Encore faut-il aller le chercher. Pas sûr que le gouvernement soit en mesure de le faire. – Alors… il n'y a pas de solution au problème des jeunes ? – Ça dépend. – Ça dépend de quoi ? – De la volonté du gouvernement. Et ça, en politique, on ne sait pas encore ce que ça signifie… – … ? Las, je prends congé de Ba Jalloul. La réponse à l'équation des jeunes se trouverait-elle par hasard dans le marc de café ?