La tournure inattendue et non moins intéres-sante qu'a pris le débat sur la télévision publique a fait oublier à beaucoup la vraie question de fond que l'on doit se poser sur les médias publics : de qui doivent-ils d épendre ? Le débat sur les nouveaux cahiers des charges des télévisions publiques prend une ampleur inattendue. Par presse interposée, le ministre Mustapha El Khalfi et le patron de la deuxième chaîne, 2M, Salim Cheikh, se livrent manifestement à une guerre ouverte. Ce dernier a notamment fait des déclarations où il remettait en cause le caractère concerté et participatif de la démarche du ministre. «J'ai reçu les projets de cahiers des charges la veille de leur validation, comment voulez-vous que je puisse apporter mes remarques en un temps record», a confié M. Cheikh à ALM. Pour ce qui est de la question qui fait le plus débat, à savoir les langues et particulièrement le remplacement du JT en français de 20h45 par un autre en langue arabe, le patron de 2M donne sa version des faits appuyée par des données chiffrées. «Contrairement à ce qui a été dit, tous les jours les journaux télévisés des deux chaînes publiques drainent entre 4,5 et 5 millions de téléspectateurs. Au même moment, à 20h30, les chiffres démontrent que 500.000 Marocains migrent vers Hassad Al Yaoum d'Al Jazeera. Ce n'est donc pas la migration massive telle que l'a présentée le ministre». Quant à la liberté de la reprogrammation du JT en français à l'heure jugée opportune par 2M, Salim Cheikh explique qu'il ne peut pas le programmer juste avant le JT arabe au risque de perdre énormément de recettes publicitaires sur une plage horaire de grande audience. «Maintenant, si l'Etat veut nous faire changer de modèle économique, je ne suis pas contre», poursuit M. Cheikh. Le ministre El Khalfi, pour sa part, a multiplié les sorties médiatiques pour expliquer et justifier le bien-fondé de sa démarche. La dernière en date est celle où il déclare au quotidien Attajdid dans son édition du jeudi 19 avril que «les nouveaux cahiers des charges sont parfaitement conformes à la loi et à la Constitution». Une déclaration où le ministre a reproché directement au patron de 2M de «ne pas vouloir respecter la réglementation qui régit le pôle audiovisuel public, notamment la loi 03-77». Une accusation à peine voilée d'insubordination. Mais la tournure inattendue et non moins intéressante qu'a pris le débat sur la télévision publique a fait oublier à beaucoup la vraie question de fond que l'on doit se poser sur les médias publics : de qui doivent-ils dépendre ? Du gouvernement en la personne de son chef ? D'un ministère, dans le cas d'espèce, celui de la communication ? Ou alors faut-il trouver un autre mécanisme? Manifestement, il y a urgence à apporter une réponse car aujourd'hui c'est plus l'amalgame qui pose problème : télévision publique ne veut pas dire télévision gouvernementale. Une chaîne publique ne peut pas et ne doit pas obéir à la couleur ni au programme de la majorité. Or aujourd'hui le fait est que le gouvernement, en tant qu'institution, a le plein pouvoir sur les deux chaînes publiques. La meilleure solution serait de créer, et rapidement, une haute instance audiovisuelle, totalement indépendante, au sein de laquelle seraient représentées sans aucune exception toutes les sensibilités de la nation et qui, elle, déciderait de ce que devrait être la télévision publique. Or aujourd'hui, il y a une grande urgence. Les nouveaux cahiers des charges sont validés et sont devenus opposables aux deux chaînes publiques. Le ministre pourra-t-il faire marche arrière? Pas sûr. Dossier à suivre…