L'institut français de Casablanca organise une tournée nationale de Anouar Brahem Trio. Casablanca, a vécu la première d'un concert qui a émerveillé les spectateurs. Mardi 20 h 30 à Casablanca : il y avait une foule immense au complexe Touria Sekkat. Les gens s'étaient déplacés en masse pour assister au concert de Anouar Brahem, un luthiste tunisien d'une renommée mondiale. Ce dernier ne s'était plus produit au Maroc depuis l'édition de 1981 du festival d'Essaouira. Connu de part le monde par la modernité qu'il a introduite dans le jeu du luth, Anouar Brahem l'a ouvert à des formes musicales en provenance du pourtour méditerranéen, de l'Iran et de l'Inde. Il a été réceptif aux rythmes du jazz et a composé la musique de certaines chorégraphies de Maurice Béjart. Anouar Brahem a de surcroît composé les musiques origi- nales de plusieurs films, dont «Halfaouine» de Farid Boughedir et «Les silences du Palais » de Moufida Tpatli. C'est dire que le public de ce soir-là savait à quoi s'attendre et il n'a pas été déçu. Anouar Brahem ne s'est pas produit en soliste, mais dans le cadre d'un trio qu'il formait avec un clarinettiste tzigane, Barbaros Erköse, et un percussionniste tunisien, Lotfi Hosni. Ce trio, organisé sur scène selon une forme pyramidale – le luthiste au milieu, entouré du clarinettiste à droite et du percussionniste à gauche –, est une composition rare dans les pays arabes qui favorisent les orchestres ou les solistes. Le trio rassemblé autour de Anouar est d'autant plus remarquable qu'il n'existait pas une idée de lutte, d'opposition, de rivalité, qui est généralement la base du concerto de soliste, mais un dialogue libre et détendu, supposant l'égalité et la complémentarité des instrumentalistes. Certes, le luth se taillait la part du lion, mais ses sons s'enrichissaient de l'apport de la clarinette, du bendir et la darbouka. Le clarinettiste est fabuleux, les sons purs et perçants qui sortaient de son instrument avaient cette magie propre aux musiciens tziganes. Il y avait de la complicité entre les musiciens, il était clair qu'ils prenaient du plaisir à jouer ensemble. D'ailleurs, à la fin de chaque morceau, les musiciens se montraient du doigt dans un geste signifiant que c'est l'autre qui méritait à chaque fois les applaudissements du public. D'un autre côté, les musiciens ont joué sans partition. Ce qui a étonné plus d'un spectateur, vu que les morceaux étaient conduits d'une façon parfaite. Cela signifie que les musiciens connaissaient parfaitement leur sujet et qu'ils se lançaient parfois dans une improvisation sur un thème. Cette façon de faire est propre aux musiciens de jazz, expression musicale dont Anouar Brahem se réclame. Le thème sert dans ce sens de repère pour ne pas s'égarer. La particularité des compositions de Anouar Brahem, c'est que le thème subit lui-même des variations. Il a tantôt joué lentement, tantôt rapidement. Le résultat était magnifique. Le public était littéralement sous le charme de cette musique qui mêle des sons orientaux à certaines libertés occidentales. Ce public entrait, plongeait dans chaque composition et n'en sortait qu'avec un tonnerre d'applaudissements. Ce public était à fois chaleureux et attentif au jeu des musiciens. Il les a rappelés à deux reprises après la fin du concert. Le trio ne pouvait qu'obtempérer devant une insistance marquée par des applaudissements ininterrompus et des hourrahs. Un concert sans fausse note n'était quelques sonneries de portables. Les personnes qui refusent d'éteindre leurs cellulaires pendant un spectacle s'obstinent à ne pas comprendre que la terre continuera de tourner avec ou sans leurs sonneries.