La nomination de Mohand Laenser, secrétaire général du MP, au poste de ministre de l'intérieur suscite toujours le débat. Il s'agit de l'une des principales nouveautés apportées par le gouvernement Benkirane, et non des moindres, à laquelle les Marocains n'étaient pas habitués. Investi d'une mission assez sensible, le département de l'Intérieur se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins. Etant donné que ce sont des technocrates qui prenaient en charge la gestion de ce département, surnommé depuis toujours «la mère de tous les ministères», qu'adviendra-t-il de l'Intérieur avec à sa tête un responsable d'un parti politique? Le défi est énorme car c'est la neutralité de l'administration qui est aujourd'hui en question. Comment peut-on garantir la neutralité de l'appareil administratif alors qu'il est dirigé par un ministre appartenant à un parti politique? Et le premier test ne tardera pas à venir. Après les élections législatives, dans quelques mois seulement le Maroc devra entamer concrètement la préparation des élections communales anticipées. Au menu, des charges relevant de la compétence exclusive de l'Intérieur, à savoir l'élaboration du cadre juridique, la révision des listes électorales et bien évidemment la supervision de l'opération électorale dans son ensemble tant au niveau central que local à travers les représentants de l'administration centrale, en l'occurrence les walis et les gouverneurs. Dans cette situation, M. Laenser sera à la fois juge, en sa qualité de ministre de l'intérieur, et partie en tant que secrétaire général du MP. D'un côté, il devrait observer la neutralité positive à l'égard de l'ensemble des acteurs, mais aussi avec sa casquette de patron des harakis il participera activement à l'opération électorale et incitera les citoyens à voter massivement pour le MP! Un cafouillage qui risque de porter atteinte à la neutralité de l'administration, d'où le débat. A l'heure où certains observateurs rassurent, d'autres tirent la sonnette d'alarme. Selon le politologue Mohamed Darif, trois éléments minimisent les craintes. «Tout d'abord, les mécanismes de fonctionnement de l'Intérieur n'ont rien à voir avec la couleur politique. Aussi, les dispositions de la nouvelle Constitution consacrent le principe de la neutralité de l'administration. C'est le Souverain qui nomme les walis et gouverneurs sur proposition du chef de gouvernement, avec comme critères la neutralité et l'intégrité», explique-t-il dans une déclaration à ALM. «Par ailleurs, nous avons actuellement deux structures qui sont séparées l'une de l'autre. D'un côté, on a le ministère de l'intérieur qui assure la gestion du quotidien et la supervision des élections. Et de l'autre, on a un ministre délégué qui s'occupe du volet sécuritaire, notamment un technocrate qui a cumulé une expérience dans ce domaine», ajoute-t-il. Pour sa part, Saïd Jafri, professeur de droit administratif à la Faculté de droit de Settat, voit les choses autrement. «L'octroi du poste de l'Intérieur à un responsable partisan risque fortement d'impacter la neutralité de ce département», affirme-t-il dans une déclaration à ALM. «Pour ne citer qu'un exemple très simple en droit administratif, nous avons toujours eu un problème avec la répartition des revenus de la TVA sur les communes. Il y a le problème de l'impact politique et administratif sur cette répartition. C'est-à-dire qu'on a des communes qui sont privilégiées au détriment d'autres, et ce selon l'appartenance des responsables de l'Intérieur. Dans un cadre plus général, qu'en est-il avec un ministre de l'intérieur qui est lui-même membre d'un parti politique?», s'interroge-t-il. Le débat reste ouvert.