Tôt, ils ont tourné le dos à l'école. Tous les deux sont restés à la merci de la vanité, de la mauvaise fréquentation, de la drogue, de l'alcool et des agressions au point que l'un d'eux a commis l'irréparable contre l'autre. «Il était très cruel, M. le président. Il m'humiliait à chaque fois que nous étions ensemble». Par ces deux phrases, Ahmed a entamé ses déclarations devant la Cour. Seulement, le président de la Cour l'a prévenu de ne répondre qu'aux questions qu'il lui pose. «Je t'ai demandé d'avouer si tu l'as tué ou non et non pas pourquoi l'as-tu tué», a répliqué le président de la Cour tout en regardant ses deux assesseurs. Nous sommes à Casablanca. La salle d'audience de la chambre criminelle près la Cour d'appel était, ce jour du mois de mars, archicomble. Une partie de l'assistance n'arrivait même pas à y accéder. Portant un jean et un tricot bleu ciel, Ahmed se tenait au box des accusés tout en fixant le président qui demandait à l'assistance de se taire pour permettre à la cour d'examiner tranquillement et minutieusement les dossiers programmés pour ce jour. «Tu es accusé d'homicide volontaire et de consommation de drogue, qu'en dis-tu ?», s'est adressé le président de la Cour à Ahmed qui semblait être calme. Comme s'il pensait à la réponse, Ahmed a gardé le silence pour quelques secondes avant de répondre : «Je l'ai tué, M. le président. Mais, je n'avais pas l'intention de commettre ce meurtre». Âgé de vingt-six ans, Ahmed a quitté, tôt, les bancs de l'école. C'était à la deuxième année du primaire qu'il les a définitivement abandonnés. Depuis, il est resté victime de la vanité et de la mauvaise fréquentation. Au fil du temps, il a commencé à s'adonner à toutes sortes de drogue, à consommer tout ce qui peut lui permettre d'oublier sa vie sans sens. « J'ai consommé toutes sortes de drogue : des comprimés psychotropes, du Maâjoune, de l'alcool à brûler, des boissons alcoolisées, du kif… Mon père m'a mis à la rue quand il a appris que je me drogue», a précisé Ahmed lors de son interrogatoire. Il ne rentrait plus chez lui. Il passait son temps à la rue avec les SDF. Une mauvaise expérience qui a duré trois ans et qui lui a permis d'apprendre tous les méfaits pour survivre. Après quoi, son père lui a permis de rentrer chez lui. Mais, il semble que c'était trop tard puisque Ahmed n'est plus une personne à maîtriser, ni à rééduquer, ni à réintégrer dans la cellule familiale. «Je ne rentrais chez moi que pour dormir. Je ne pouvais communiquer avec personne de ma famille», a-t-il affirmé à la Cour. Ahmed n'a appris de la vie que le vagabondage, la consommation de drogue, l'enivrement, la mauvaise fréquentation, les agressions… «Abdelali était mon ami. Je l'ai rencontré en prison quand je purgeais une peine de trois mois pour vol simple. Mais, il était très violent et très agressif. Il m'humiliait à chaque instant. Il voulait toujours être le chef», a précisé Ahmed qui a exprimé, entre- temps, son regret de l'avoir tué. Comment l'humiliait-il ? C'était la question que lui a posée le président de la Cour à Ahmed. « Il me traitait toujours de chien qui doit obtempérer à ses ordres. Il ne partageait jamais avec moi le fruit de ce qu'on subtilise à nos victimes. Et parfois, il tentait d'abuser de moi surtout quand il était sous l'effet de l'alcool», a-t-il ajouté La dernière fois, il y a sept mois, quand ils se sont rencontrés et ont commencé à picoler, Ahmed a saisi l'occasion d'un malentendu pour lui asséner deux coups de couteau mortels. Et le verdict était de quinze ans de réclusion criminelle.