Le monde associatif et culturel vient de perdre un grand militant des droits de l'Homme, des opprimés et des émigrés. Un homme exemplaire au service de la dignité et de la fierté humaine. Il y a des hommes qui ne vivent que pour leurs convictions. Leur destin coule de source avec des idéaux simples et profonds. Humble dira-t-on, mais auréolé d'un charisme qui leur est propre. Mohammed Bachiri, dit «Mokhtar», fait partie de ces hommes qui naissent et vivent petits et qui nous quittent sur des nuages de reconnaissance. L'homme se résume ainsi en un ensemble d'actions et d'actes qui ont fait date. Des hommes qui jaillissent du peuple et qui font tout pour garder ce qu'il y a de plus intrinsèque chez l'homme : sa fierté. Ce Marocain de souche et enfant du peuple incarnait magistralement la soif de la justice qui honore les hommes intègres. «Il est né libre et il est mort libre», confie sa fille Nadia pour ALM. Et d'enchaîner : «Même si on ne se voyait pas souvent. Quand on était ensemble, c'était très intense. Je savais à peu près ce qu'il faisait mais pas dans le détail. Il avait du caractère et des convictions et il aurait pu mourir pour ses convictions. La seule concession qu'il pouvait faire c'était à l'égard de moi et de mon petit frère Mouad qui a 6 ans. C'est ce que j'ai senti à travers son regard et son affectivité». Dès son jeune âge, il a connu le calvaire des mineurs, lui l'enfant qui était doté d'une intelligence scolaire mais qui devait quitter l'école pour faute de moyens. «Il devait remplacer notre père qui commençait à donner des signes de fatigue», rapporte à ALM Youcef Bachiri (frère du défunt). Et c'est au fond de cette mine qu'il allait palper la condition ouvrière. Il est sorti révolté contre les dépassements que subissaient les mineurs. Un insurgé qui allait faire deux mois de taule car il a osé rendre coup pour coup à un policier qu'il avait rencontré autour d'une trinque. «C'est là que j'ai beaucoup réfléchi. Je me posais des tas de questions. C'était une petite pièce avec des gardes. Pas vraiment une prison, mais je pensais que même si on m'autorisait à sortir, je ne le pouvais pas. En fait, je n'étais pas libre». C'est en ces mots que Bachiri parlait de son passage à la prison de Sidi Boubker et d'enchaîner : «Quand enfin je suis sorti de ce truc, les gens me considéraient comme un voyou, comme quelqu'un qui a commis des crimes. Moi, au contraire je pensais que la justice doit me revenir. Je retourne pour travailler, on refuse de me reprendre». «Le commissaire a dit qu'on ne peut pas t'accepter», m'a expliqué le directeur de la mine. Une phrase assassine qui condamnait le jeune au chômage forcé mais qui l'a orienté vers plus de lecture avec une passion pour la radio. Et c'est dans la bibliothèque de son village qu'il allait découvrir et s'imprégner de deux géants des lettres : Zola, à travers Germinal et Stendhal grâce au roman Le rouge et le noir et bien d'autres romans à connotation sociale. Des lectures qui lui ont fait découvrir la France et qui l'ont encouragé à tenter l'aventure du Nord. Il est parti en France juste après les événements d'un certain mai 68. C'était comme deux destins qui se sont entrecroisés pour fusionner des idéaux livresques et des prises de position sociale partagées. Sur son départ pour la France, il a rédigé un article duquel on peut soustraire : «En écoutant les trucs de mai 68 à la radio, en lisant le journal, ça m'a encore fait penser que la France c'était bien. La radio disait que même les journalistes de France-Inter étaient matraqués alors je voyais qu'il y avait le gouvernement, la police mais que tous les autres gens étaient contre. Les radios elles-mêmes disaient beaucoup de mal de la police. Je me suis dit : Décidément la France c'est bien», expliqua-t-il dans l'un de ses écrits. Par la suite, il a expliqué que la France de ses pensées n'était pas une copie conforme de la réalité qu'il a vécue en tant qu'ouvrier et dans les foyers réservés aux immigrés. «Chaque fois qu'on avance dans le sentiment qu'on est des Arabes, chaque fois qu'on avance dans la libération du peuple arabe, on avance aussi dans l'unité avec les Français, on avance dans la révolution française. Tout est lié dans la lutte commune. Le racisme et d'autres préjugés tombent dans nos luttes communes. Ça, on le voit déjà au moment des grèves... », explique-t-il dans ce même écrit. C'était le jeune fougueux qui allait par la suite se faire remarquer pour ses prises de position pour les hommes opprimés. La cause palestinienne, la mainmise de l'amicale des travailleurs algériens sur tout ce qui est maghrébin, feront de lui l'homme qui défendait la dignité des hommes intègres et qui déstabilisait les apesanteurs programmées. «Ce militant exemplaire du Mouvement des travailleurs arabes dans les années 70 à Radio Soleil et Goutte d'Or dans les années 80, des grèves de la faim pour la carte de séjour et des marches pour l'égalité en 1983-1984 ne pourra jamais vraiment disparaître», a noté dans ses condoléances Mohammed Hammaoui, secrétaire du Mouvement «Les indigènes de la République». La dignité ouvrière et la fierté humaine n'étaient pas ses uniques causes. Il allait aussi mener un combat culturel avec ses amis Ahmed Ben Abla et Khalil Hachimi Idrissi, pour la liberté des ondes de radios communautaires en direction des Maghrébins. Une formidable expérience des radios libres allait se confirmer et se peaufiner grâce à Radio Soleil. Ces hommes ont su lancer un programme varié et hétéroclite où tous les genres maghrébins passaient au même titre que le flamenco, la guitare classique, le chaâbi et les légendaires chioukh de l'Oriental. C'était la radio qui allait révolutionner toutes les radios arabes de l'Hexagone et du Maghreb en ouvrant ses ondes aux gens du peuple et à tout ce qui a été relégué au second rang. C'était une radio un véritable laboratoire culturel et médiatique pour la liberté des genres et des expressions. Une école qui a formé de dizaines d'hommes de médias. En somme, une école qui fera date. Rahima Allah ce fervent défenseur des droits humains et des causes justes.