A la condition sine qua non que le cynisme comme l'ambition soient mis au service d'un projet de société concrètement généreux et économiquement faisable. Driss Lachgar, membre du bureau politique de l'USFP, est enfin ministre. Ouf ! allais-je dire. Que l'on se rassure, je n'ai aucunement l'intention de commenter le slalom de Driss Lachgar que je connais depuis plus de trente ans. Ce qui m'intéresse c'est plutôt le traitement qu'en a fait le journal Attajdid proche du PJD. En abordant la nomination du socialiste au gouvernement sous l'angle de la morale dans sa relation avec la politique, les islamistes se sont arrogés un droit auquel ils ne peuvent prétendre. Je suis de ceux qui sont intimement persuadés que l'absence de cohérence, ou plus fort encore de congruence, entre le discours et l'acte, surtout lorsque cette absence s'inscrit dans la durée, nuit grandement à la politique et à l'image des hommes qui la portent. La politique ne peut de ce fait se réduire impunément à une série de manœuvres et d'attitudes tactiques sans soubassement stratégique. Il faut être crédule et impénitent pour croire que l'exercice de la politique peut se faire sans une bonne dose de cynisme ou sans qu'il soit mû par une ambition confirmée. A la condition sine qua non que le cynisme comme l'ambition soient mis au service d'un projet de société concrètement généreux et économiquement faisable. Driss Lachgar vous dira qu'il le porte en lui depuis sa tendre jeunesse. Il s'appelle l'utopie socialiste. Maintenant qu'il est ministre, l'histoire nous dira l'usage qu'il en aura fait. Abderrahim Bouabid, leader historique des socialistes, avait en son temps établi une nette corrélation entre l'éthique et la politique. Là-haut où il est, je ne peux voir le regard qu'il porte sur ses camarades. Mais je suis par contre quasiment sûr que les islamistes ne sont pas qualifiés pour juger l'évènement Lachgar. Simplement parce que tandis que Abderrahim Bouabid parle d'éthique, «alakhlak» que prônent les islamistes, renvoient à la morale déjà par définition dogmatique quelle qu'en soit l'assise. Elle devient plus inquiétante dès lors qu'elle se fonde en plus sur un référentiel religieux. L'excommunication n'est alors jamais loin. L'habilitation que se donnent les militants du PJD est d'autant plus infondée que lors des élections des bureaux des communes, on a vu des voix - socialistes, érénistes, populaires et même pamistes – devenir là vertueuses lorsqu'elles portent les islamistes à la présidence ou aux bureaux des communes, et sataniques quand ailleurs elles contrarient leurs projets. Petit récit des annales: à l'origine, la Chabiba alislamya, dont bon nombre sont aujourd'hui dirigeants et cadres du PJD, s'est essentiellement déployée pour contenir le développement de la gauche laïque et donc athée. Aujourd'hui, par un retournement de l'histoire, ou ironie du sort, on a pu voir depuis les dernières législatives les islamistes jouer du violon sous le balcon de l'USFP, et à travers une interview de Nabil Benabdellah, mal interprétée, faire une cour pressante même aux ex- communistes du PPS. Si bien que leur discours sur la morale et la politique finit par ressembler au babillage du soupirant éconduit.