Laâbi, avec « Le chemin des ordalies », paru au début des années quatre-vingt, était précurseur dans ce qu'on pourrait appeler une «écriture de prison ». Mais, il ne s'en vante pas. En quittant la prison, en 1980, après huit ans et demi d'enfermement, Abdellatif Laâbi était littéralement travaillé par le texte qui devait obligatoirement signer ce qu'il qualifiait à juste titre comme un retour parmi les vivants. En fait, pour un écrivain, un poète qui avait déjà signé un récit-itinéraire aussi fort que «l'œil et la nuit », des recueils de poésie, vigoureux et denses, l'écriture est restée toujours une forme de compagnon dans l'épreuve, un recours, un rythme de respiration. De la prison même il avait sorti un certain nombre de textes qui furent publiés, ici et là, partiellement ou en livres, notamment «sous le bâillon, le poème » et plusieurs lettres de prison, adressées notamment à son épouse et à ses enfants, et qui seront regroupées ultérieurement en livre sous le titre générique de « Chroniques de la citadelle d'exil ». Mais, « le chemin des ordalies » qui paraîtra un an environ après la libération de l'auteur, en français et en arabe, restera comme un texte majeur de Laâbi. C'est aussi un des livres précurseurs, au Maroc, dans le genre de littérature auquel il appartient formellement : un récit à partir de l'épreuve vécue en prison. Il date, en quelque sorte, ces fameuses «années de plomb », mais pas à travers un simple témoignage, un reportage ou une compilation de vécus, dramatiques, douloureux, tristes comme il y en a, hélas, dans nos kiosques et nos librairies, ces derniers temps. Dans son livre, Laâbi a su trouver un ton, une épaisseur, un souffle, une sorte de « tenue » générale qui placent son récit dans la vraie dimension de l'écriture. Celle qui fait de la dignité, de la poésie, de l'amour, des composantes esthétiques dans lesquelles l'homme a tout investi, au point d'éclipser toute banalité et toute platitude.