Me Abderrahim Bouhmidi, président de l'Institut marocain des juristes francophones, estime que la prise en main par SM le Roi de la réforme judiciaire va dans le sens de rendre la justice une et unique et que la réforme essentielle est de combattre la justice à deux vitesses. ALM : Le gouvernement à travers le ministère de la Justice assurera la mise en œuvre de la réforme de la justice. Quels sont, selon vous, les changements nécessaires aujourd'hui au niveau des tribunaux? Me Abderrahim Bouhmidi: Le changement premier doit concerner les personnes. Les professionnels de la justice doivent se considérer comme des citoyens. Cela veut dire que la loi doit être efficiente. Elle doit s'appliquer à tous sans distinction. À partir de cette idée, la réforme essentielle est de combattre la justice à deux vitesses. L'Etat est donc le premier concerné. La prise en main par SM le Roi de la réforme judiciaire va dans le sens de rendre la justice une et unique et non pas multiple et inique. Certains appellent à accorder encore plus d'autonomie à la Cour suprême. Qu'en pensez-vous ? Ceux qui appellent à accorder plus d'autonomie à la Cour suprême avancent une revendication qui n'a aucun sens, car la Cour suprême est un élément du système judiciaire marocain, tel qu'il est conçu. Par ailleurs, le système judiciaire dans sa globalité est considéré comme une autorité et non comme un pouvoir. Le pouvoir judiciaire qui est autonome, est quant à lui entre les mains du Roi. Par conséquent, autonomiser une autorité par rapport à un pouvoir qui l'encadre est une revendication non fondée. Le nombre de magistrats au Maroc est-il suffisant pour assurer une bonne justice ? Depuis que le Maroc a adopté le système de la collégialité qui n'a toujours pas donné ses preuves en matière d'équité, une déflation du personnel judiciaire a été provoquée. D'une chose l'une, ou bien revenir au juge unique. Et partant redéployer les deux tiers des magistrats sur l'ensemble des juridictions du Royaume. Ou bien faire appel à du renfort parmi les jeunes lauréats des Facultés et parmi les commissaires judiciaires, ou en opérant des prélèvements au niveau des avocats et des professeurs universitaires, ce qui coûtera plus cher au contribuable en termes de recrutement et de formation. La corruption affecte l'efficacité de l'appareil judiciaire marocain. Comment peut-on lutter contre ce fléau ? C'est une injustice que de lier systématiquement la corruption aux magistrats. Le phénomène de la corruption constitue un problème endémique qui mine l'ensemble de la société marocaine depuis longtemps. La lutte contre la corruption nécessite tout simplement l'éducation à la loi. Vous êtes un juriste praticien de droit. Qu'est-ce qui explique la lenteur dans les procédures judiciaires ? Il y a un adage qui est très connu dans le monde entier et qui dit : «il faut trois jours pour condamner un accusé à la peine de mort et 25 ans pour remettre un héritier dans son bon droit». C'est dire que suivant que l'on se place d'un point de vue civil ou d'un point de vue pénal. La lenteur est à géométrie variable. Ce qu'il faut retenir est que dans sa globalité, la justice pénale sans être expéditive, fait preuve tout de même de plus de célérité. En revanche, si la justice civile montre quelques signes de lenteur ceci n'est pas dû à une mauvaise volonté des magistrats. La procédure écrite et érigée en principe et qui n'est plus une exception, a fini par plomber le système judiciaire et faire de la lenteur une constante. Il s'agit en réalité d'un problème plus technique que relevant des ressources humaines judiciaires.