Victime d'excision et d'oppression sociale, la militante sénégalaise Khady Koita nous fait part de son engagement ainsi que le but de sa visite au Maroc. ALM :Que représente pour vous ce séjour au Maroc ? Khady Koita : Ma visite au Maroc s'inscrit dans le cadre d'un partenariat avec l'association marocaine «Al oum wa lhayat» (La mère et la vie) qui se charge du soutien et de la formation des femmes sans revenu fixe. Cette collaboration vient compléter les efforts de notre association «La palabre». En Afrique, la palabre est une coutume de rencontre, et de création de lien social. Elle apparaît comme une véritable institution à laquelle participe la communauté d'un village. Cette coutume permet également de régler les contredits. Ainsi, l'association «La palabre» a pour but de bâtir des centres d'accueil et d'éducation pour les femmes victimes de violence notamment de mutilations génitales. Notre militantisme est dédié aux femmes qui continuent de souffrir dans leur chair à cause de l'ignorance. Grâce aux prix que nous avons reçus, nous avons commencé la construction d'un centre à Thiès au Sénégal. Notre présence aux côtés de cette association marocaine permettra de créer une dynamique Sud-Sud. L'important pour moi est de consolider les efforts entre pays africains et d'éviter que le Nord nous prenne en charge. Vous avez évoqué les mutilations génitales. Ces pratiques sont-elles toujours maintenues ? Il est utile de préciser qu'il est question d'excision. En Afrique noire, l'excision est adoptée par toutes les confessions. Pour nos femmes, ce rituel est synonyme de purification et de fidélité. Malheureusement, ces actes sont toujours maintenus. Ils sont pratiqués au nom de la religion, alors qu'il n'y a aucun texte qui prouve leur légitimité. Pas plus tard que la semaine dernière, des exciseuses ont été arrêtées par les autorités sénégalaises au moment où elles sont vivement soutenues par les religieux. Exciser un clitoris c'est couper un organe et couper un organe est un crime. Le Sénégal dispose depuis des années d'une loi qui interdit ces pratiques et aujourd'hui ces religieux viennent soutenir les exciseuses ! C'est provocant. Cette supercherie a été voulue par les hommes pour assurer leur pouvoir et dominer leur femme. Le problème c'est que les Africaines préservent ce rituel même à l'étranger. La preuve, ma fille l'a subi en Europe à l'âge de 18 ans. C'était à mon insu. Quand je l'ai su, je n'ai pas réagi, mais je me suis engagée par la suite à condamner cette pratique. Il est important de dialoguer entre nous afin de changer les mentalités et ouvrir les yeux à nos femmes pour qu'elles ne soient plus soumises et opprimées. Votre livre «Mutilée» est-il un message ? Mutilé ce n'est qu'un paragraphe de ce livre qui explique l'excision. «Mutilée» revêt plusieurs dimensions à savoir la mutilation physique et mentale. Ce livre de réflexion est un dialogue entre mère et fille mais aussi un message aux Européens pour qu'ils assimilent et partagent notre culture. Cet ouvrage est un cri de souffrance émis par les femmes africaines immigrées. Un signe d'alerte pour qu'elles ouvrent les yeux et défendent leur dignité et intégrité. «Mutilée» est un témoignage d'une trentaine d'années de résidence en Europe. Un aperçu sur l'humiliation ainsi que la violence morale, physique et sociale que j'ai subie depuis l'âge de 13 ans.