Fatna bent Lhoucine. Soixante-douze ans. L'âge vénérable de la sagesse. Pour cette grande dame de la chanson populaire du terroir des plaines de l'Atlantique, une longévité artistique exceptionnelle. Samedi dernier, la première chaîne nationale qui continue à explorer notre mémoire culturelle et artistique populaire, avait comme invitée principale de son émission musicale phare : «Naghma wa tay» (note musicale et verre de thé), la grande Fatna bent Lhoucine. La célèbre chanteuse de “Aîta” qui a marqué de son empreinte ce genre de chant très prisé dans les vastes plaines du littoral atlantique, et qui s'est disséminé, au cours des dernières décennies, dans l'ensemble du territoire national. Coachée par le maître de cérémonie, Omar Essaïd, le personnage pivot de la troupe de Nass el Ghiwane, en compagnie de son héritier spirituel, la star incontestée de toutes les fêtes populaires, Hajib, et de nombreuses autres troupes de musique populaire marocaine, l'invitée vedette était au centre de toutes les attentions et a fait revivre pour l'auditoire du plateau et pour les téléspectateurs quelques moments forts de cet art, un peu rabaissé par la critique musicale bien pensante, mais qui recèle en son histoire séculaire et en ses innombrables déclinaisons des trésors de créativité, de sensualité, de rhétorique verbale très expressive et de pans entiers de notre mémoire artistique, érotique et spirituelle collective. Un comique sur le plateau, réalisant un sketch pour la circonstance, a eu un mot fin pour situer le statut de la chanteuse : «Elle s'appelle chez nous Fatna bent Lhoucine, a-t-il dit, si elle avait vécu en Egypte, elle aurait eu comme nom Fatna Hussein, comme Taha Hussein…», par parallèle avec le célèbre écrivain égyptien mondialement connu. On lui a servi du Hajja sur le plateau, comme pour souligner son âge et son statut vénérable ; mais elle, justement, son mérite est d'avoir fait d'un prénom presque banal, Fatna, et d'une courte filiation, bent Lhoucine, une véritable légende de la ‘Aïta, un creuset de cette forme de chanson égrenée dans toutes les cérémonies familiales, saisonnières, festives de tous genres, dans des centaines de milliers de foyers, dans les festivals, les moussems, dans les soirées conviviales, dans les rencontres à caractère licencieux et partout où il y a la vie et ses atours. Par chance, certains auteurs sérieux tels Hassan Nejmi, poète-journaliste et actuel président de l'Union des écrivains du Maroc, Hassan Bahraoui universitaire et chercheur très attentif aux diverses formes de la culture populaire marocaine, ou encore Mohamed Ben Hamid, le spécialiste de la “Aïta” qui était présent sur le plateau de TVM, accordent à cet art l'intérêt qu'il est en droit de revendiquer. Pour les connaisseurs, la soirée était l'occasion de savourer quelques titres-cultes de la grande tradition en la matière rendus célèbres par Fatna et exécutés collégialement par trois orchestres populaires sur le plateau, notamment le consensuel «Moulay Abdallah», célébrant le moussem du vénéré Moulay Abdallah Ben Hsaïn, qui se tient annuellement près d'El Jadida ; ou encore l'immémorial «Ach-Chalini» (celui qui m'a délaissé), le tube populaire de tous les spleens.