Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée, a montré par sa discrétion poussée jusqu'à la dévotion qu'il n'était pas l'homme à courir derrière les mirages de l'exposition médiatique. Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée, le plus proche conseiller de Nicolas Sarkozy, est généralement un homme retenu qui a hérité de la préfectorale son verbe rond et glacial. Il a la réputation d'avoir une langue raide qui fourche difficilement. A l'épreuve du pouvoir, il a montré par sa discrétion poussée jusqu'à la dévotion qu'il n'était pas l'homme à courir derrière les mirages de l'exposition médiatique. Il ne sort de son bois que sur ordre de sa hiérarchie et ne parle qu'en mission. Son idée d'envisager d'interdire les listes «antisionistes» que le comique militant Dieudonné, aux accointances déclarées avec l'extrême droite, lance dans la campagne des européennes, continue de susciter de nombreuses interrogations. Une nouvelle ruse de Nicolas Sarkozy, un nouveau tour de passe-passe politique et électoral pour détourner l'attention. Toutes les questions sont permises tant l'idée semble énorme et sert plus qu'elle ne condamne l'objet de délit en lui garantissant une amplification maximale de son message et une visibilité inespérée de ses candidats. Dans une réaction presque épidermique, les socialistes ont été les premiers à pointer les sombres desseins d'une telle posture. Le porte-parole du PS, Benoit Hamon, s'était posé cette question qui résume la séquence du moment : «A quoi joue l'Elysée et à quoi joue M. Guéant? A quoi cela sert-il et quels sont les calculs derrière cela? Pourquoi ce coup de pub?». Cette interrogation avait rejoint les craintes d'un autre socialiste, Harlem Désir : «S'il y a un moyen de faire interdire le dépôt de ces listes, faisons-le, maintenant j'espère que le secrétaire général de l'Elysée ne s'est pas avancé sans avoir plus de garanties». Devant le tollé général provoqué par une telle idée, Dieudonné s'est permis le luxe de rendre un hommage ironique à Claude Guéant : «Notre ami Guéant (…) M. Guéant notre attaché de presse». Dieudonné peut savourer toute la lumière médiatique jetée sur ses listes par la simple déclaration de Claude Guéant. De sombres inconnus, les noms qui composent cette liste comme l'ex-membre du Front National Alain Soral, le président du «Parti sioniste de France» Yahia Gouasmi ou encore Francesco Condemi, venu de l'extrême gauche, Emmanuelle Gili, un même du groupuscule ultra-nationaliste «Renouveau français», sont devenus des stars médiatiques sur lesquelles la grande presse enquête et les éditorialistes pérorent le plus sérieusement du monde. D'ailleurs, la nouvelle coqueluche de la politique française, Olivier Besancenot, les a exécutés par cette formule : «Cette alliance de losers de toutes sortes est à la fois sinistre et ridicule». Sans désavouer publiquement la démarche de Claude Guéant, l'actuel patron de l'UMP, le parti du président, Xavier Bertrand, s'est livré à une circonvolution qui en dit long sur la gêne occasionnée par une telle solution : «S'il y a le moindre propos antisémite, raciste, de la part de Dieudonné ou de ses colistiers, il faut que cela soit sanctionné immédiatement. La justice est là, le droit est là. Vous avez une Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, qui sont, dans notre pays, des valeurs intemporelles. Eh bien, qu'ils s'y conforment». Cette affaire a fourni une occasion inespérée au Front National de tenter de se refaire une virginité et de se poser comme l'un des défenseurs de l'Etat de droit. Marine Le Pen, le nouveau visage de l'extrême droite qui se veut lisse et rassurant, à la recherche d'une respectabilité nouvelle, s'est saisie de cette affaire pour donner une leçon de tolérance à ses détracteurs : «Nous sommes dans un Etat de droit. Je ne veux pas laisser à un gouvernement quel qu'il soit le soin d'interdire a priori une liste quelle qu'elle soit (…) Il y a des tribunaux dans notre pays, il y a des lois, il y a des inéligibilités d'ailleurs qui parfois sont prononcées, mais en aucun cas, un gouvernement ne peut dire: nous considérons que a priori vous n'aurez pas le droit de vous présenter». Devant un tel flot de critiques, Claude Guéant pourra toujours arguer qu'il a voulu, à travers une telle initiative poser des balises rouges à une campagne qui risque de déraper… Mais la thérapie peut s'avérer plus dommageable que le diagnostic.