On a passé quatre jours, à Agadir, avec Saïd Taghmaoui. On pouvait s'attendre à voir débouler une vedette auréolée de sa carrière internationale. On pouvait craindre d'avoir à répondre aux mille caprices d'une star maniérée, exigeant des fantaisies et gourmand en lubies. Il n'en était rien. Pour avoir, dans sa carrière, côtoyé les plus grands dont Cloony, Wahlberg, Damon ou Winslet, Saïd n'en préserve pas moins la tête sur les épaules. Et si, par moment, il fait preuve d'insouciance et de légèreté, c'est pour laisser libre son côté banlieusard. Une manière, chez lui, de vous dire qu'il reste lui-même. Qu'il n'a pas changé. Que c'est un enfant du peuple qui a foulé les cimes sans en être enivré. Saïd a débuté le cinéma par effraction. Il a collaboré à l'écriture de «La haine» avant de jouer comme acteur avec Vincent Cassel et Hubert Koundé, sous la caméra de Mathieu Kassovitz. Le film connaîtra un succès colossal et deviendra culte dans les banlieues françaises. Il bouleversera les schémas classiques de la banlieue et modifiera la réalité migratoire que vivait la France. Il a mis en exergue le vécu sordide des jeunes des cités et leurs rapports exécrables avec les forces de l'ordre. La banlieue après «La haine» ne sera jamais plus comme avant. Kassovitz et Cassel vont connaître les gloires que l'on sait. Pas Koundé ni, dans un premier temps, Saïd. Et c'est peut-être ici, dans cet épisode, que ce jeune frêle puise toute l'énergie qui l'anime. Il y a comme une forme de refus, à l'instar de celui porté, en France, par tant de jeunes issus de l'immigration maghrébine, face à ce traitement différencié. Tout, dans les déclarations de Saïd, laisse transparaitre une forme amertume tant il semble avoir vécu intensément cette discrimination. Lui qui a connu les projecteurs et les tapis rouges bien avant les autres : Naceri, Debouzze, Zem, Fadela et autres Dati. Il ne le dit jamais directement. Il cite, en revanche, comme par miroir inversé, la disparition d'Hubert Koundé, l'acteur noir de «La haine». C'est sa blessure féconde. Pour ne pas disparaître comme Koundé, Saïd va opérer, comme son père, une autre émigration. Il ira tenter sa chance à Hollywood. Et à force de travail et de volonté, il arrivera dans ce pays où ni le faciès ni les liens familiaux ne peuvent se substituer à la compétence. L'actualité arabe et musulmane l'a aidé. Elle a favorisé, à Hollywood, l'éclosion des rôles d'Arabe dans lesquels Saïd s'est engouffré avec le succès que l'on sait. Il lui reste maintenant à rencontrer un «David Lean» pour faire un «Docteur Jivago» ou un «Laurence d'Arabie», afin de devenir le nouvel Omar Sharif du cinéma mondial.