En choisissant Aubry, Delanoë déclare vouloir barrer la route à Ségolène Royal, donnant par la même occasion vie à une volonté d'agir que certains pensaient uniquement virtuelle. Bertrand Delanoë est sorti de ce congrès de Reims les ailes cassées, le moral en berne et l'avenir incertain. Il incarne le rôle du grand perdant de cette aventure qui avait tenu toutes ses promesses en matière d'affrontement des ego. Malgré une deuxième place dans le vote des militants du 6 novembre dernier que certains pourraient lui envier, dans la cabine de pilotage qui transportait les socialistes vers le renouvellement de leur leadership, le maire de Paris donnait l'impression d'avoir choisi la place du mort. Le signe tangible que le courant qu'il représentait au sein du PS souffrait presque d'une panne mécanique est l'incapacité de Bertrand Delanoë de se porter candidat au poste du premier secrétaire comme l'avait fait avant lui le jeune Benoît Hamon suivi de Ségolène Royal et de Martine Aubry. Le prétexte officiel à cette dérobade est de ne pas vouloir ajouter la division à la division. La raison réelle est sans aucun doute à trouver dans la prise de conscience d'être dans l'incapacité de relever le défi du libre choix des militants devant une Ségolène Royal qui a su créer une dynamique de séduction en adoptant des postures de communication et d'expression novatrices. Et depuis, la question de savoir à quel cheval déjà engagé dans la course à la rue de Solferino, Bertrand Delanoë allait accorder son soutien, était sur toutes les lèvres. Le suspense ne dura pas longtemps et le choix fut vite tranché. Le maire de Paris donne consigne de vote à ses supporters pour soutenir Martine Aubry avec des trémolos dramatisants dans la voix, histoire de souligner l'importance du virage : «Notre responsabilité est immense… Il y va de «l'identité même du Parti socialiste». En choisissant Martine Aubry, Bertrand Delanoë déclare ouvertement vouloir barrer la route à Ségolène Royal, donnant par la même occasion vie à une volonté d'agir que certains pensaient uniquement virtuelle, celle de former un front du «Tout sauf Ségolène». Ségolène Royal confirme l'existence de ce front : «Ce front il existe, bien sûr. On le voit bien (…) Je ne sais pas quelles sont les manœuvres d'appareil qui sont derrière cette évolution». Ségolène Royal a violemment réagi à ce choix en affirmant que «le Parti socialiste a perdu le sens du code d'honneur et lorsque les dirigeants disent quelques chose et font le contraire, ça n'est pas conforme à l'idée que je me fais de la politique». Et de dénoncer dans la foulée les nouveaux démons qui menacent de paralyser le Parti socialiste en dénonçant avec ironie la coalition des «has been» : «On voit l'éternel retour, là, à l'œuvre. Avec Martine Aubry, il y a Laurent Fabius, avec Bertrand Delanoë, il y a Lionel Jospin. C'est le retour de ceux qui ne veulent pas passer la main à une nouvelle génération». Martine Aubry a réagi à ses attaques en tentant d'utiliser la même veine. Sans nommer Ségolène Royal, elle l'égratigne méchamment : «On peut incarner le changement en changeant d'avis tous les jours, vous voyez ce que je veux dire (…) Moi, j'incarne le changement avec d'autres, parce que je n'ai jamais joué autrement que collectif». Dans d'autres tribunes, Martine Aubry avait directement critiqué Ségolène Royal en disant qu'elle préférait une politique qui «s'adresse à la raison et pas à la moelle épinière». Les attaques de Martine Aubry contre Ségolène Royal surfent sur les résultats d'un sondage BVA publié mardi dans le journal «Les échos» et qui montre qu'une large majorité de Français (59%) désirent voir une autre personnalité que Ségolène Royal diriger le Parti socialiste. En jouant Martine contre Ségolène, Bertrand Delanoë tente de stopper l'ascension de la présidente du conseil régional du Poitou-Charente. Si la manœuvre réussit, Bertrand Delanoë pourra toujours s'engoncer dans la posture de «faiseurs de reine» et incarner les mécanos invisibles. Mais si elle échoue et que le vote des militants consacre jeudi Ségolène Royal comme première secrétaire du PS, l'hiver a de fortes chances d'être rude pour le maire de Paris et ses amis. D'autant que plus rien ne pourra arrêter Ségolène Royal dans sa course à la présidentielle de 2012.