Une vive polémique se déclenche entre islamistes et féministes sur fond d'héritage. Filles et garçons doivent partager le legs familial à parts égales, disent les féministes, au désarroi des islamistes qui les accusent de vouloir déclencher la «fitna» (le chaos) dans la société. «Les associations féministes qui militent pour l'Ijtihad (jurisprudence) en matière d'héritage veulent déclencher la fitna», s'affole une députée islamiste. L'appel à l'Ijtihad (jurisprudence) peut-il être porteur de «fitna» pour le commun des fidèles ? Les associations féministes rejettent cette allégation au nom de «l'égalité des chances» et de la raison. «Les filles doivent pouvoir hériter de la totalité des biens de leurs parents, et non pas passer après les héritiers mâles», estime la Ligue démocratique des droits de la femme (LDDF), qui a appelé lors d'une récente conférence à une reconsidération de la question de «Attaâsib», c'est-à-dire «une famille qui n'a comme héritiers que des filles». L'ONG, qui affirme avoir enregistré un nombre record de plaintes déposées courant 2008 par des femmes «lésées», a annoncé avoir formulé des recommandations qu'elle compte présenter au gouvernement en vue de rétablir l'équité en matière d'héritage. Les députés islamistes affûtent déjà leurs armes pour faire barrage à cette initiative, en menaçant de porter le débat sur l'arène du Parlement. «Je crois que les revendications de cette ONG (NDLR: Ligue démocratique des droits de la femme) ne sont pas claires. Mais s'il s'avère qu'elle revendique l'égalité entre homme et femme en fait d'héritage, elle serait en contradiction flagrante avec les versets 11 et 176 de la 4ème Sourate du Saint-Coran», tranche Abdelbari Zemzmi, député du parti Renaissance et Vertu. L'ancien prédicateur va plus loin en interprétant l'appel à l'Ijtihad comme un «acte de désobéissance à la volonté divine» (Voir l'entretien de Zemzmi). Pour lui, «les deux versets (précités) sont clairs et n'ont pas besoin de faire l'objet de jurisprudence». Or, «la réalité a beaucoup changé pour s'en tenir à une lecture littérale des préceptes de l'Islam», fait observer un analyste. «La nécessité se fait jour d'adapter les préceptes de l'Islam à l'évolution de la Oumma», estime-t-il, en s'appuyant à son tour sur l'appel divin «tirez enseignement, ô vous qui êtes doués d'intelligence». Un autre observateur ne voit pas de mal non plus à l'application de la Raison dans l'interprétation des préceptes de l'Islam, puisque l'objectif escompté est de consacrer un principe cher à notre religion : l'équité et la justice. Voilà, justement où le bât blesse. Nombre de femmes s'élèvent, aujourd'hui, pour affirmer «être lésées» par la formule en vigueur présidant à la distribution des richesses de l'héritage. Un cas illustre l'ampleur du drame. Une femme vient de perdre son mari. La veuve a hérité de biens suffisants pour entretenir les jours de ses deux filles. Mais voilà, l'usage veut qu'une bonne partie de l'héritage aille dans les poches des frères du défunt. Ces derniers auraient bien pu se passer de l'héritage de leur frère regretté, mais ce n'est pas de cette oreille qu'ils l'entendent. Ils ont raflé la mise, au détriment des deux filles du défunt et d'une mère qui n'a déjà plus que les yeux pour pleurer. Une autre veuve estime avoir une (divine) chance de compter un garçon parmi ses trois filles, sauf que là encore il y aurait injustice. La mère, qui se plaint déjà des dérives du mâle héritier, craint que ce dernier ne craque l'héritage en peu de temps, l'équivalent des deux parts auxquelles ont eu droit ses deux sœurs. Voyez-vous, on pourrait allonger la liste des cas. Mais abrégeons. Nombre d'observateurs, féministes ou pas, appellent à une adaptation du mode de distribution de l'héritage à l'évolution de la société. «Aujourd'hui, nombreuses sont les femmes à être chefs de familles. Des fois, des femmes employées prennent en charge même leurs maris. Comment se fait-il alors qu'une femme ait droit à une portion infime de l'héritage alors qu'elle a la charge des enfants, quand ce n'est pas celle du mari lui-même», s'interroge un analyste, interloqué. Quoi qu'on en dise, la polémique, qui vient d'être lancée, peut avoir un effet bienfaiteur. Pourvu qu'elle ne verse pas dans le faux débat. Cette polémique vient remettre le principe d'égalité au cœur du projet de société.