Le sujet repose un débat que nous avons beaucoup de mal, nous Musulmans, à aborder de front. Il ne s'agit pas moins que de l'intemporalité du message divin. Ses prescriptions vont de cette manière pour tous les temps et pour tous les lieux. Dans sa chronique «Autrement» (ALM du 30 juin), Rachid Benzine pose la question du Coran en rapport avec l'égalité hommes-femmes sous un angle provoquant mais qui ne manque pas de pertinence. Auteur d'un ouvrage au titre évocateur sur «Les nouveaux penseurs de l'Islam», R.Benzine s'interroge sur la possibilité de «l'élaboration du droit «moderne» à partir de la tradition coranique.» Il explique ainsi que pour «sortir des normes traditionnelles où d'aucuns les enferment à coup de versets coraniques [certains interprètes modernistes] vont chercher d'autres versets pour prouver le contraire.» Défiant à l'égard de cette «utilitarisme textuel», R. Benzine, précautionneusement, abusant de la forme interrogative, mais non sans audace, se demande si cette démarche est pertinente au vu de passages entiers du Saint Livre consacrés à la polygamie, aux femmes ou encore à l'héritage des garçons et des filles. Peu porté par et sur ce contorsionnisme de ceux qui ne veulent pas s'écarter du texte, l'auteur conclut sans ambages à la nécessité d'inverser l'approche et de reconnaître «que notre conception de l'égalité, voire l'égalitarisme d'aujourd'hui, est de notre époque et d'aucune autre.» Le sujet repose un débat que nous avons beaucoup de mal, nous Musulmans, à aborder de front. Il ne s'agit pas moins que de l'intemporalité du message divin. Ses prescriptions vont de cette manière pour tous les temps et pour tous les lieux. Les édits qui en découlent sont ainsi figés pour l'éternité au nom d'un argument voulu massue : il n'y a pas de place à la réflexion et à l'effort intellectuel en présence d'un texte (la ijtihada m'aa woujoud annas). Il vaut pour la question de l'égalité hommes-femmes mais aussi pour bien d'autres aspects de la vie en société. C'est au nom de ce statisme qu'un Mustapha Ramid demeure un fervent adepte de l'amputation de la main du voleur. Devant pareilles intransigeances, souvent les «modernistes» se limitent à des réactions scandalisées alors même que toute évolution de la société musulmane reste tributaire des réponses à apporter à ce positionnement. Au Maroc, trois tendances tentent, chacune, de soumettre le débat à l'ambition qu'elle a pour la société. Celle de Abdessalam Yassine fortement allergique à la démocratie représente le courant de la discussion impossible. A ses yeux, la finalité de l'homme consiste en l'adoration de Dieu. La quête du bien-être matériel que l'ex-reclus de Salé ne dédaigne pas, n'est alors que le meilleur moyen de libérer le prieur des préoccupations terre à terre pour se consacrer entièrement à l'évocation du Créateur. Une deuxième tendance se retrouve dans les tentatives du PJD, essentiellement dans la perspective de son prochain congrès, de libérer quelque peu l'action politique des ingérences de l'œuvre de prêche (al-amal adda'aoui). Mais il ne faut pas en attendre des révolutions tant cette attitude, outre ses considérations tactiques, est lestée par la position du Mouvement de l'Unicité et de la Réforme qui ne juge l'action politique qu'à sa capacité à imposer les conduites sociétales qu'il prêche. Face à ces deux conceptions du monde, la troisième pose une équation qu'il faudrait bien un jour résoudre de façon claire : comment distinguer dans la révélation ce qui relève du tactique et du pédagogique valable pour le désert arabe d'il y a quinze siècles et ce qui participe du stratégique en rapport avec le sens du message divin dans sa quintessence et l'éthique qu'il impose. C'est alors seulement qu'il deviendra possible, en préservant la foi de chacun, d'en modifier les modes d'expressions et les comportements qui en découlent.