Depuis le 11 septembre, les tenants du choc des civilisations ont le vent en poupe. Une théorie dangereuse et simpliste resservie à toutes les sauces. Le monde n'a pas attendu les attentats du 11 septembre pour révéler sa face tourmentée. Une dynamique d'éclatement avait déjà été amorcée à la fin des années quatre-vingt et a chamboulé tous les repères hérités de la guerre froide. De nouveaux périls sont ainsi apparus en Asie, en Afrique et même au sein de l'Europe. En effet, en plus de la fracture entre le Nord riche et moderne et le Sud pauvre et surpeuplé, des conflits nationalistes ont déchiré les Balkans et l'exacerbation des particularismes culturels a été alimentée par les tentations de repli identitaire. Quelques apprenti-sorciers ont essayé d'analyser ce nouveau contexte international en termes de « choc de civilisations » ou « d'affrontements de cultures », une thèse lapidaire et manichéenne défendue par l'ex-conseiller du Pentagone, Samuel Huntington. A cet égard, les derniers actes terroristes survenus sur le sol américain ont dévoilé une situation déjà existante sur le terrain à savoir que la transnationalisation des échanges couplée avec le développement de l'immigration de masse et les brassages internes des populations ont accru la diversité culturelle de la plupart des sociétés occidentales, jadis présentées comme étant homogènes et monolithiques. Tout cela a fait basculer dans la quotidienneté et la vie privée du citoyen européen, l'image et la présence de « l'Autre », musulman pour la circonstance, relégué hier encore à l'exotisme et au discours cultivé des élites. Cette présence du musulman dans la vie de tous les jours est riche en contradictions, en dialogues et en conflits, en bricolages identitaires, en références et en choix. Encore plus, l'autre, en l'occurrence le musulman intégriste, contribue dorénavant à la définition que la communauté occidentale se donne d'elle-même. Après le juif d'hier, c'est l'arabo-musulman, aujourd'hui, qui suscite les passions et entretient les imaginaires, générant un « contre-intégrisme », raciste et différencialiste opposant le monde laïc au tiers-monde religieux et donc archaïque. Le pas est donc vite franchi, dans certains cercles, pour ne percevoir en l'Islam qu'un ensemble monolithique, intemporel et immuable. On n'hésite pas à l'assimiler, dans certains médias, au fanatisme, à l'obscurantisme et au terrorisme. L'existence de mosquées tournées vers l'Orient fait indéniablement plus peur que celle des synagogues ou des temples hindouistes. Le malaise est donc certain, d'autant plus que le cas palestinien, la guerre du Golfe et le port du voile ont achevé de convaincre l'opinion arabo-musulmane que l'Islam est le mal aimé de l'Occident. D'où, au départ, un déficit de communication accentuée par un universalisme démocratique occidental maximaliste et prétentieux qui occulte les autres formes de civilisation et les réduit au mutisme. Il s'agit donc plus d'une incompréhension que d'une guerre de civilisations ou de religions. La conséquence est que certains musulmans, certes minoritaires, viennent à appeler à la « Guerre Sainte » contre le grand Satan occidental, et que quelques dirigeants américains parlent d'une véritable « Croisade » contre les nouveaux barbares venus d'Orient. En définitive, il est admissible que chaque groupe de chaque côté ait sa propre culture qui possède un principe de sélectivité qui conduit les acteurs à ne pas opérer, face aux mêmes événements, les mêmes classements ni à définir les mêmes priorités. Que les attentats du 11 septembre apparaissent, ne serait-ce qu'à travers les discours, comme une opposition entre le droit et la justice, semble à cet égard significatif.