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Khadija Rabbah : «La polygamie traumatise les enfants»
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 02 - 05 - 2008

Au Maroc, le combat des femmes contre la polygamie est loin d'être achevé. Conséquence: les enfants et toute la famille payent les pots cassés. Constat que fait Khadija Rabbah, présidente de la section Casablanca de l'Association démocratique des femmes au Maroc.
ALM : Nombreux sont encore les hommes dans la société marocaine qui continuent d'approuver et d'encourager la polygamie. Qu'en pensez-vous, en tant que femme ?
Khadija Rabbah : Je dis non à cette situation. Il faudrait que cela cesse. Les conséquences en sont catastrophiques. Ce sont des enfants et des femmes qui souffrent, silencieusement. Ce sont toutes ces personnes qui n'arrivent pas encore à prendre la parole ou à qui on ne donne pas la parole pour dire stop, il faut arrêter cette hémorragie qui handicape notre société.
Vous parlez de tous ces enfants qui souffrent de la polygamie…
Ils sont nombreux malheureusement dans notre société et personne n'en prend soin. Ils vivent des complexes inimaginables. Je vous raconte une histoire que j'ai vécue moi-même. J'étais pendant une dizaine d'années directrice pédagogique. J'ai surpris une fois une gamine avec un couteau dans son cartable. Lorsque je lui ai demandé les raisons qui l'ont poussé à faire cet acte, elle m'a répondu qu'elle voulait tuer sa demi-sœur qui lui a pris son papa.
Notre association est contre la polygamie sous toutes ses formes. C'est un acte inhumain et dégradant pour le statut de la femme dans notre société qui s'inscrit dans la modernité et le changement. C'est contre les droits humains. C'est une violence…
De quel ordre ?
C'est surtout une violence psychique. Une femme dont le mari prend une seconde épouse, perd toute confiance en elle et en celui qu'elle a épousé, son mari et éventuellement le père de ses enfants. Comment peut-on obliger la femme d'accepter le fait que son mari prenne une deuxième femme, et de partager son époux avec une autre? On parle de partage des cultures, mais pas dans ce sens. Toute femme qui vit une situation de polygamie s'interroge sur les raisons qui poussent le conjoint à vouloir vivre le changement. N'est-elle pas pas aussi belle que la seconde, la troisième et même la quatrième, que le mari choisit pour une nouvelle noce ? Et ces enfants encore une fois qui voient leur maman abandonnée et délaissée par le père, quelle image vont-ils garder de ce dernier ? Vont-ils vouloir revivre la même vie, une fois adultes, ne serait-ce que pour se venger. Les enfants issus des familles subissant les sévices de la polygamie, souffrent d'un manque de communication terrible. Ils sont remplis de haine. La polygamie est aussi une violence économique, du fait que la première famille se partage les biens du père avec les nouveaux venus. Les enfants n'acceptent pas de partager l'affection de leurs parents.
Polygamie citadine et rurale. Où réside la différence ?
La femme citadine accepte moins et difficilement que son mari prenne une seconde femme. Une grande majorité des citadines travaillent et sont souvent indépendantes, matériellement. Elles peuvent dons se permettre de demander le divorce si le mari décide de prendre une seconde épouse. Ce n'est malheureusement pas le cas pour la femme rurale. L'oppression est trop forte, de la part de la famille et de l'entourage. La femme rurale continue de souffrir du fléau de l'analphabétisme, des traditions qui la contraignent à souffrir intérieurement de cette situation de polygamie.
La Moudawana parle de polygamie avec conditions.
Nous saluons l'initiative de la Moudawana, mais le gouvernement n'en a pas fait un véritable chantier à part entière. La polygamie n'est pas interdite, mais permise avec conditions. Certains maris usent de ruses pour pousser la femme à accepter la seconde épouse, ou de procédures illégales, falsification de papiers… D'autres font du chantage à leur première femme. Les enfants sont souvent le sujet de ce chantage. Nous souffrons d'un manque terrible de communication sur la polygamie et ses conséquences néfastes sur toute une société.


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