Le dernier rapport de la Cour des comptes révèle plusieurs défaillances dans la gestion de certains organismes publics. Chiffres et documents à l'appui, l'équipe d'Ahmed Midaoui a remis ce rapport à SM le Roi. Dans son dernier rapport, Ahmed Midaoui, président de la Cour des comptes, n'a pas mâché ses mots. Dans ce document de 346 pages, publié dans le Bulletin officiel n°5588, on a levé le voile sur bien des anomalies dans la gestion de l'administration publique. Absence de stratégie et de plans d'action dans certains ministères, des fonds dépensés pour des projets non opérationnels….etc Révéler au grand jour ces malversations et ces dysfonctionnements est vraiment une «mission délicate», pour M. Midaoui. Il l'avoue dans la conclusion de son rapport. Remis au Souverain le vendredi 26 octobre, au Palais Royal de Marrakech, ce rapport a été élaboré conformément à l'article 97 de la Constitution et à l'article 100 de la loi n°62-99 portant Code des tribunaux financiers. La principale conclusion faite par l'équipe des magistrats-auditeurs dirigée par M. Midaoui concerne l'application du principe de reddition des comptes de manière systématique à tous les départements assujettis aux juridictions financières. «Il est évident que l'instauration et la généralisation du principe de la reddition des comptes sont le premier principe de bonne gouvernance », relève-t-on dans le rapport. Et d'ajouter : «Le nombre important d'organes incite à redoubler les efforts pour un contrôle supérieur des finances publiques, performant, visant le respect du droit budgétaire et des exigences d'une gestion saine des ressources publiques». Pour une gestion saine donc des fonds publics, les enquêteurs de la Cour des comptes ont passé au crible les registres du département des Pêches maritimes, du ministère de la Culture, de la Caisse de compensation, de l'Agence de logements et d'équipements militaires (ALEM), de l'Agence du Nord, de la Caisse marocaine des retraites, de l'ONMT, de l'ORMVA du Ghrab, du CDER, de la société d'aménagement Ryad et de l'Association des œuvres sociales des pêches maritimes. Dans ce département, les mesures prises en vue de préserver les ressources halieutiques sont inefficaces : «et ce, à cause de l'absence d'assise juridique adéquate d'une part, et de visibilité en matière de développement de l'activité de l'aquaculture d'autre part». En effet, la production aquacole au Maroc ne représente que 0,1% de la production halieutique totale. Concernant les recettes, des insuffisances ont été relevées au niveau du traitement comptable. L'équipe Midaoui a relevé « un écart significatif » entre les prévisions budgétaires des recettes et les réalisations telles qu'elles sont retracées au niveau du compte administratif. Cette équipe pointe également du doigt le département des Pêches maritimes qui n'a pas effectué «les diligences nécessaires en matière de recouvrement de certaines créances notamment des amendes relatives aux infractions à la réglementation des pêches maritimes commises par les armateurs». Le montant des amendes impayées s'élève à 42.419.000 dirhams. De la Pêche à la culture, la Cour des comptes soulève l'absence d'un plan d'action formalisé dans ce secteur. Et c'est surtout dans la gestion des monuments historiques où le bât blesse. Difficultés dans la circulation de l'information, des informations contradictoires d'un service à l'autre, retard dans le traitement et le partage des informations administratives, difficulté de circulation de dossiers entre les services concernés…etc. Et, ce sont les sites classés qui pâtissent en fin de compte. En effet, les ressources financières affectées aux monuments historiques et aux sites aussi bien par le Budget général de l'Etat que par le Fonds national d'action culturelle (FNAC), ont connu entre 2001 et 2004 une diminution qui s'élève respectivement à 57% et 23%. La Cour signale que les dotations actuelles ne permettront pas d'assurer le financement de l'action de la Direction de protection du patrimoine pour la restauration des monuments et sites menaçant ruine. Dans le chapitre des entreprises et établissements publics, les enquêteurs de la Cour se sont intéressés particulièrement à la Caisse de compensation. Son conseil d'administration ne se réunit pas selon la périodicité prescrite par le dahir le régissant. Son serveur informatique et son câblage qui ont coûté près de 197.000 DH, installés au siège depuis 1997, n'ont jamais été exploités. Et la Caisse ne dispose pas d'une banque de données qui centralise toutes les informations relatives aux dossiers des subventions et des prélèvements. Aucune trace donc des dossiers traités. Pour la Caisse marocaine des retraites (CMR), ce rapport indique que l'insuffisance de trésorerie devrait se manifester dès 2011 et que l'épuisement total des réserves de la CMR risque de se produire vers 2019, si des mesures adéquates ne sont pas prises. Les provisions de prévoyance de la CMR, qui se chiffrent à 33,8 milliards de dirhams au 31 décembre 2005, ont été constituées uniquement au titre du régime civil ; le régime militaire demeurant structurellement déficitaire. Pour rappel, l'Etat avait procédé à un relèvement des taux de cotisation et de contributions et de l'âge de départ en retraite du personnel militaire, au versement par l'Etat de 5,02 milliards de dirhams à la CMR pour couvrir le déficit de la caisse pour les exercices 1996 à 2003. «Ainsi, malgré ces mesures importantes qui ont été entreprises, le régime militaire demeurera structurellement déficitaire. Ce déficit, qui devrait persister et s'amplifier davantage à partir de 2010 continuera à être supporté par le régime civil, bien que les deux régimes soient indépendants au regard de la loi», affirme-t-on dans ce rapport. L'équipe Midaoui est allée également fouiller dans les comptes de l'Agence de logements et équipements militaires (ALEM). Elle a relevé une insuffisance dans la gestion des programmes locatifs et un retard dans l'achèvement du projet de recasement des bidonvillois des douars Bougraa et Havy, à Meknès. Dans les comptes de l'Agence du Nord, c'est la gestion des marchés qui a été au centre des investigations de la Cour. Ainsi, les enquêteurs ont dévoilé l'absence d'un registre des marchés publics, du représentant du ministère des Finances dans les commissions d'appel d'offres, des motifs de recours aux marchés négociés et d'un suivi réel des réalisations par l'Agence. En tourisme, l'ONMT a besoin d'une stratégie claire. L'Office n'a pas diligenté d'études de marchés renseignant sur les véritables attentes des touristes provenant des pays traditionnellement émetteurs et cherchant à explorer des marchés à fort potentiel. Il a fallu attendre l'année 2004 pour que ce genre d'études soit initié. En plus de naviguer à vue, les responsables de l'ONMT ne prennent aucune mesure à l'encontre des 151 hôtels sur un total de 1300, à fin 2004, qui n'ont ni déclaré les nuitées réalisées ni payé le montant de la taxe touristique. Le rapport de la Cour des comptes accable donc plusieurs organismes publics. Mais, il leur a donné l'occasion à un droit de réponse avant de remettre la version finale au Souverain. L'examen de ce rapport a certainement été derrière plusieurs décisions majeures qui ont été prises dernièrement. La volonté royale d'accélérer la cadence des réformes structurelles du fonctionnement de l'administration publique a incité à une amélioration et une sorte de libération des énergies de tous ceux qui veillent au contrôle de la bonne gouvernance au sein de l'administration publique. De l'Inspection générale des finances à la Cour des comptes… Des efforts à encourager. Carburant pour la pêche : Un manque à gagner annuel de 26 MDH « Le système mis en place pour la distribution du carburant laisse supposer l'existence d'une activité de détournement de carburant pour d'autres fins que l'objet recherché ». Le rapport de la Cour des comptes est net et clair. Cela provient de l'absence d'un contrôle efficace devant être exercé sur les bénéficiaires, aussi bien par l'administration des douanes que par le département des Pêches Maritimes. Cette défaillance se traduit par un manque à gagner fiscal pour l'Etat qui pourrait être estimé au niveau de cinq ports visités à 26 millions DH par an. Ce chiffre serait encore plus important si on prenait en considération l'ensemble des ports du Royaume et si on raisonnait sur plusieurs années. A signaler aussi que les lubrifiants détaxés sont livrés aux navires de pêche par les stations sous le regard de la douane et sans aucun suivi de la part des délégations des pêches maritimes, selon la même source. Caisse marocaine des retraites : Perte de 92 MDH en Bourse Depuis 1996, la CMR a été autorisée à procéder elle-même à la gestion des fonds dont elle dispose et à leur placement dans des limites fixées par la réglementation en vigueur. Selon la Cour des comptes, la stratégie de placement des excédents qui est du ressort de la CMR n'est pas encore suffisamment bien affinée, ni clairement formalisée. A cela, il faut ajouter des «placements hasardeux» qui ont affecté la gestion des ressources de la Caisse. Certains placements boursiers effectués témoignent «d'erreurs graves d'appréciation». En l'occurrence, les placements dans les actions BNDE et MANAGEM ont totalisé des pertes d'environ 92 millions dirhams, selon ce rapport. Monuments historiques : Baisse de 24,5 % des recettes entre 2001 et 2002 Les recettes des monuments historiques ont connu une chute importante entre 2001 et 2002 passant de 14.706.106 dirhams à 11.090.105 dirhams, soit une baisse de 24,5%. Ce fléchissement est dû en grande partie à une baisse de recettes dans la région de Marrakech dont le total a accusé une baisse de l'ordre de 25 %, selon la Cour des comptes. En analysant la corrélation entre le nombre global des touristes qui ont visité le Maroc et le nombre de visiteurs des monuments historiques et des sites, l'équipe Midaoui a constaté que le taux d'attractivité reste faible ne dépassant pas les 30% dans les meilleurs des cas. Cette faiblesse dans l'attraction des visiteurs est due essentiellement à des insuffisances en matières de promotion et de publicité. Pêche : 26 MDH pour un système d'information non fiable Selon le rapport de la Cour des comptes, le département des Pêches maritimes a opté pour un système d'information coûteux mais peu fiable. Malgré l'importance de l'investissement engagé, les objectifs affichés n'ont pas été atteints et les informations fournies par le système ne sont pas fiables et ne peuvent servir de base pour l'aide à la prise de décision. Entre 1997 et 2005, plus de 26 millions de dirhams ont été dépensés pour des marchés d'étude, de développement, d'équipement et de maintenance. Subvention du sucre : Absence de contrôle des opérations Comme pour les produits pétroliers, aucun contrôle sur place n'est effectué par la Caisse sur les subventions du sucre. Cependant, si les opérations du secteur pétrolier sont, en quasi-totalité, justifiées par des documents trouvant leur émanation à l'extérieur de la société bénéficiaire (factures, attestations douanières, quittances douanières, frais bancaires,..), celles justifiant les opérations de subvention du sucre sont du fait du même bénéficiaire, selon ce rapport. Une telle situation risque de donner naissance à des aménagements des informations fournies au niveau des dossiers de subvention des sociétés concernées surtout que la Caisse ne procède à aucun contrôle sur place. La Cour des comptes suggère d'assurer le contrôle de matérialité auprès des entreprises de ce secteur.