Cette rencontre à Paris est à mettre à l'actif de l'offensive diplomatique française dans la région, lancée récemment par la tournée de Jean Claude Cousseran autour de laquelle il s'était rendu à Ryad, Damas et Téhéran. La rencontre fut publiquement secrète, le suspense haletant jusqu'au bout, la communication minutieusement organisée jusqu'à l'excès. Michel Aoun, chef du Courant patriotique libre et Saad Hariri, chef du Courant du futur et de la majorité parlementaire anti-syrienne, se rencontraient pour la première fois depuis le début de la crise politique au Liban en novembre 2006. Enjeu fondamental de cette rencontre : les présidentielles libanaises qui doivent avoir lieu lors de la prochaine réunion du Parlement le 12 novembre. Le calendrier institutionnel libanais ne supporte plus de report supplémentaire puisque l'actuel et très contesté président libanais Emile Lahoud doit quitter ses fonctions le 24 novembre. Et si d'ici là, les parlementaires libanais ne parviennent pas à s'accorder sur un nom, le pays est mortellement menacé de chaos institutionnel, de vide politique, faisant du spectre de la guerre civile une plausible réalité et une menace réelle. Autour de cette table de négociation parisienne, les jeux de rôle ont connu quelques modifications politiques et historiques de circonstance. D'un côté, le général chrétien maronite Michel Aoun, l'homme qui est rentré dans l'histoire pour avoir été l'un des plus vivants symboles de la lutte militaire contre la présence syrienne au Liban et qui lui avait valu un long exil parisien, se pose aujourd'hui comme un allié objectif de Damas avec une alliance stratégique avec le Hezbollah de Hassan Nassrallah. De l'autre côté, Saad Hariri est le fils héritier de son père Rafiq qui jusqu'à son assassinat en 2005 était un fidèle exécutant de l'accord de Taef sous parrainage saoudien et qui s'est découvert sur le tard la vocation d'un farouche opposant de l'hégémonie syrienne sur le Liban. Cette rencontre à Paris est à mettre à l'actif de l'offensive diplomatique française dans la région lancée récemment par la tournée de Jean Claude Cousseran autour de laquelle il s'était rendu à Ryad, Damas et Téhéran. Le Quai d'Orsay avait cadré la mission de M. Cousseran qui avait rencontré le vice-président syrien Farouk Al Chareh et le ministre des Affaires étrangères Walid Al Moallem en ces termes : «M. Cousseran a rappelé notre attachement à l'indépendance, la souveraineté, l'unité et la stabilité du Liban, en soulignant que tous les Etats de la région y avaient intérêt». Il est encore tôt de savoir si cette rencontre entre Michel Aoun et Saad Hariri qui s'est déroulée à Paris sous une étroite surveillance politique américaine en la personne du secrétaire d'Etat adjoint chargé du Proche-Orient David Welch, a porté ses fruits. Les premières déclarations des protagonistes laissent apparaître le dur chemin à parcourir avant de parvenir à un consensus : «Les sujets abordés ont été nombreux et les discussions franches». C'est le résumé qu'avait donné Michel Aoun. Cette rencontre a eu lieu dans une atmosphère de dramatisation générale. Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon est sorti de son silence pour appeler les partenaires libanais à s'entendre : «Je suis préoccupé par le risque de voir s'installer au Liban soit deux administrations concurrentes, soit un vide constitutionnel». Saad Hariri avait donné un sérieux coup d'alarme en dénonçant, après un entretien avec le président Hosni Moubarak au Caire, un complot syrien visant à l'assassiner : «Nous disposons de renseignements sur ce sujet et nous suivons cette affaire, a-t-il déclaré. Ces renseignements sont corrects et nos services de renseignement travaillent là dessus (…) Les services de sécurité libanais et arabes coopèrent pour prévenir de tels assassinats». Les Syriens n'ont pas tardé à interpeller Saad Hariri sur ses allégations. Un haut responsable, cité par l'agence officielle syrienne Sana, s'interroge : «pour quelle raison Saad Hariri n'a-t-il pas exposé ces informations devant l'opinion publique locale, arabe, et internationale». Le ministre syrien des Affaires étrangères Walid Moallem aura l'occasion d'expliquer la situation à son homologue français Bernard Kouchner puisqu'il le rencontre en marge de la conférence sur l'Irak qui se tient à Istanbul, en Turquie du 1er au 3 novembre, la première à ce niveau depuis 2005, année de l'assassinat de Rafiq Hariri ancien Premier ministre libanais et ami personnel de l'ancien président français Jacques Chirac.