Depuis le début de la seconde Intifada, les Palestiniens qui travaillent en Israël doivent demander une autorisation spéciale à l'Etat hébreu, particulièrement difficile à obtenir. Beaucoup d'entre eux ont commencé à travailler en Israël avant la première Intifada et continuent aujourd'hui malgré le changement des lois. «J'ai commencé à travailler en Israël en 1980. J'étais peintre en bâtiment à Netanya», témoigne Nabil, 48 ans père de cinq enfants habitant un camp de réfugiés de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie. «A l'époque, je partais de Naplouse jusqu'à Tulkarem, puis Tel-Aviv. La compagnie du bus israélienne Eagle, venait nous chercher à l'entrée du camp des réfugiés car nous n'avions pas besoin de papiers pour aller en Israël», insiste-t-il. Ce n'est qu'à partir des accords d'Oslo et la création de l'Autorité palestinienne que les choses ont commencé à se compliquer. Puis, la seconde Intifada éclata et l'accès au territoire israélien a été interdit pour tout Palestinien n'ayant pas en sa possession une autorisation spéciale. «J'ai réussi à avoir des papiers pendant un an, en tant que businessman. J'ai effectivement travaillé avec le frère de ma femme qui a un magasin ici et qui doit acheter des produits en Israël pour faire marcher son commerce. Tous les trois mois, je devais réactualiser mes papiers. Et puis, ça s'est arrêté. Aujourd'hui, je travaille illégalement dans un magasin de prêt-à-porter à Tel-Aviv», continue Nabil. Au péril de sa vie, ce père de famille traverse la frontière israélienne chaque dimanche pour se rendre à Tel-Aviv. Le travail est bien mieux rémunéré, et pour la survie des siens, il n'a pas le choix : «Pour un travail de 8 h par jour avec week-end, en Israël, je gagne 5.000 shekels par mois. Ici, je dois travailler 10 h par jour avec un jour de repos par semaine et je ne gagne que 2 000 shekels par mois». «Si je pouvais trouver un travail à Naplouse, payé à 70% de ce que je gagne là bas, je n'irais plus en Israël», assure-t-il. Selon Nabil, le passage de la douane n'est pas compliqué. Ils sont une vingtaine de travailleurs illégaux à se retrouver en dehors de la ville de Naplouse pour prendre un bus israélien qu'ils paient chacun 140 shekels pour se rendre à Jérusalem. Une fois dans la ville sainte, il suffit de prendre un bus régulier qui les emmène au cœur de Tel-Aviv. «Je pars tous les dimanches matin à partir de 6 heures et j'arrive à Tel-Aviv vers 11h, en fonction de la situation», témoigne Nabil. «Le chauffeur du minibus est un Israélien, il emprunte les routes des colons. Au passage du check-point de sortie des territoires palestiniens, il passe en faisant un signe aux soldats avec un grand sourire. Les soldats n'y voient que du feu. Dans le bus, on ferme les rideaux consciencieusement pour ne pas être repérés», précise-t-il. Le chauffeur risque, dans cette affaire, une suspension de sa licence de travail, une amende de 10 000 shekels et parfois même la prison. La chance de Nabil, c'est de parler l'hébreu couramment. «Dans les rues israéliennes, quand je suis en règle, je me permets de parler en arabe. Mais quand je n'ai pas de papiers, je ne parle que l'hébreu. Quand je prends le bus. Je m'habille bien, je mets des lunettes de soleil et je ne prononce pas un mot en arabe. Ils ne peuvent pas savoir que je suis Palestinien mais beaucoup me dévisagent quand même. Moi aussi j'ai peur de prendre le bus à cause de attentats suicides», confie-t-il. Depuis plus de 20 ans, Nabil travaille donc en Israël où il s'est fait des amis, juifs israéliens. «Dans mon travail, ils me respectent. Les israéliens aiment bien embaucher des Arabes, ils semblent nous faire confiance et puis ils nous paient moins cher. A Tel-Aviv, les gens commencent à me connaître, ils me disent bonjour et je leur réponds poliment. Ils sont gentils. J'ai des amis là bas, notamment un conducteur juif irakien que j'aime beaucoup et avec qui je vais à la mer le week-end quand je ne peux pas rentrer chez moi. Tous les Juifs ne sont pas pareils, mais il y a quand même beaucoup de racisme anti-arabe en Israël», confirme Nabil. Il engage souvent des discussions politiques avec les Israéliens : «Ils me disent que personne ne veut d'eux alors que nous, les Arabes, nous avons beaucoup de terres et qu'on peut aller ailleurs. Je leur réponds que moi, je suis Palestinien, je ne suis ni Jordanien, ni Saoudien, mon pays c'est la Palestine». Malgré leurs désaccords, ils travaillent ensemble et se côtoient sans problèmes majeurs. Ce qui inquiète particulièrement ces travailleurs devenus illégaux, c'est la nouvelle génération palestinienne. «Les enfants et les adolescents d'aujourd'hui ne connaissent des Israéliens et des Juifs en particulier, que les soldats et les colons. J'ai peur que leur haine et leur violence deviennent incontrôlables», s'inquiète une mère de famille vivant à Naplouse. En effet, la séparation des populations a des effets pervers qui dans les prochaines années pourraient devenir un problème majeur.