Les Marocains ont voté, leur vote est respecté, on verra à l'œuvre ce qu'ils ont mérité. Point à la ligne. Le défaut de la cuirasse démocratique est dans notre collection nationale de décalages. Sommes-nous un peuple de grognards ? La question mérite d'être posée au vu des réactions plus que mitigées à l'annonce de la nomination de Abbas El Fassi à la primature. Déjà entre l'annonce des résultats et le choix royal, comme pour conjurer le sort, on a eu droit à toutes les spéculations. D'abord les jeunes, Hejira ou Ghellab étaient sur toutes les lèvres, ensuite Fouad Ali El Himma, Meziane Belfkih et Jettou ont dû publiquement démentir qu'ils étaient candidats au poste convoité. Ceux qui ont avancé ces noms ont même fait semblant d'oublier que le Roi s'est engagé devant les représentants de la nation à prendre un Premier ministre parmi les politiques.Maintenant que Abbas est nommé, on met en avant pêle-mêle son caractère irascible, son âge respectable, sa santé fragile, l'affaire Annajat, son palmarès éloquent, pour regretter le choix. Ce que l'on oublie, c'est la fameuse logique démocratique. Il est d'ailleurs fascinant de constater que ce sont ceux-là mêmes qui réclament à tout bout de champ la limitation des pouvoirs royaux, qui aimeraient voir le Souverain en user pour nommer le premier de leur choix. L'attitude la plus saine, c'est d'accepter la logique démocratique jusqu'au bout. L'Istiqlal est le premier parti d'une alliance que les électeurs, qui ont daigné se déplacer, ont reconduit. Le poste revenait donc à un Istiqlalien. Bien que la Constitution ne l'impose pas, la fameuse logique démocratique veut que l'on appelle aux responsabilités, celui que les Istiqlaliens ont mis à la tête de leur parti. Pour mieux vous mettre en situation, si l'UMP avait gagné, la logique démocratique aurait voulu que le Premier ministre soit Aherdane, Mahjoubi pas Larbi, du haut de ses 98 ans et malgré son attachement aux hiboux et autres chauves-souris. La logique démocratique, quand on est démocrate, n'admet pas des corrections externes. La nomination de Abbas El Fassi est d'abord à prendre sous cet angle : elle est la confirmation d'un engagement collectif à raffermir la pratique de la démocratie. En lui-même, cet engagement ne résout rien, mais il est indispensable pour aller vers l'étage au-dessus de la construction démocratique. Bien que le bilan de Driss Jettou soit plus qu'honorable, je continue à considérer sa nomination en 2002 comme un facteur de dépolitisation et celle d'El Fassi comme un retour au dur labeur de la construction démocratique. Les Marocains ont voté, leur vote est respecté, on verra à l'œuvre ce qu'ils ont mérité. Point à la ligne. Le défaut de la cuirasse démocratique est dans notre collection nationale de décalages. Décalage entre la culture démocratique et la pratique du même nom, ceux qui réclament un jeu ouvert, cadenassent leurs partis et les expurge des éléments les plus valables, décalage entre une élite qui se place en observateur externe et une « populace » à la recherche de l'homme providentiel ou tout au moins de l'Etat providence, enfin décalage entre le désir de crédibiliser les Institutions et l'habitude de les faire incarner par des personnes peu crédibles. Dans ce contexte, il faut prendre la nomination de Abbas El Fassi pour ce qu'elle est une première. C'est en effet la première fois que la logique démocratique est respectée. Youssoufi ayant été l'homme d'un consensus qui a renforcé les contrastes de la vie politique, c'est une bonne chose, de la même manière que l'équilibre institutionnel actuel répond parfaitement à la situation.