Les autorités financières travaillent actuellement sur un cadre règlementaire global. Directeur général-adjoint du CDVM, Hicham Elalamy en explique la portée. Il est question dans les milieux financiers d'un marché à terme au niveau de Casablanca. Y a-t-il au CDVM un chantier réglementaire dans ce sens ? Il y a effectivement un chantier dans ce sens auquel le CDVM participe activement aux côtés du ministère des Finances, de Bank Al-Maghrib et de la Bourse de Casablanca. Le groupe de travail, qui a été constitué à cet effet et qui est présidé par le ministère des Finances, a pour mission de proposer un cadre juridique reposant notamment sur un projet de loi et des projets de règlements généraux. L'architecture générale a été définie mais un certain nombre de questions stratégiques sont à résoudre. Autrement dit, l'ossature est là, il faut maintenant la remplir. Sur quel modèle parmi ceux existants à l'étranger sera décliné ce marché à terme ? Au stade actuel, il est encore prématuré d'avancer un schéma. D'autant qu'il ne s'agit pas de reproduire simplement une organisation existante dans un marché donné, mais bien de se baser sur les principes qui doivent régir un marché à terme et arrêter un schéma qui tienne compte des spécificités de notre marché. Je peux d'ores et déjà vous dire que l'architecture du marché à terme reposera sur une Chambre de compensation distincte de la société gestionnaire de ce marché. Celle-ci sera-t-elle totalement indépendante vis-à-vis des autres intervenants ? Il y aura bien entendu des liens capitalistiques avec les autres intervenants. En revanche, elle aura des organes de gestion indépendants et des règles de fonctionnement claires, qui seront prévues au niveau de son règlement général. Cette indépendance est nécessaire pour que la Chambre de compensation puisse se consacrer exclusivement à sa mission de dénouement des opérations dans des conditions sécurisées, loin de toutes autres considérations externes. S'agissant de son contrôle, il sera forcément dual dans la mesure où la Chambre de compensation est un acteur à la fois des systèmes de paiement et des marchés d'instruments financiers lesquels sont respectivement de la responsabilité de Bank Al-Maghrib et du CDVM. Qu'en sera-t-il de la société gestionnaire du marché à terme ? Là aussi des choix doivent être opérés. S'agit-il de confier la gestion de ce nouveau marché à la Bourse de Casablanca ou de créer une nouvelle entité ? Si cette deuxième option est retenue, il faudra alors en arrêter le tour de table. Il y a des arbitrages à faire en fonction des moyens disponibles et de la nature de notre paysage financier. Comme vous le savez, la société gestionnaire de la Bourse dispose aujourd'hui de réserves importantes qui pourraient être mobilisées pour la constitution du capital de la société gestionnaire du marché dérivé et davantage pour celui de la Chambre de compensation qui est très consommatrice en capital. Ne pourrons-nous pas craindre que les produits dérivés, connus pour être des amplificateurs de hausse ou de baisse, ne mettent en péril la Bourse de Casablanca à la moindre secousse ? Vous évoquez un point très important car il touche la stabilité et la sécurité du marché. Le modèle de marché choisi comme cadre de référence s'inspire des expériences étrangères les plus exigeantes en matière de sécurité. Les mécanismes de sécurisation prévus se situent à plusieurs niveaux : les opérateurs du marché seront soumis à un dispositif prudentiel qui intègre les postions prises sur le marché des produits dérivés ; les variations des prix sur le marché seront encadrées par des limites réglementairement fixées ; la position ouverte par un opérateur est soumise à un principe de «limite d'emprise», c'est-à-dire que l'intermédiaire ne peut prendre de position au-delà d'un certain pourcentage afin de limiter des écarts de cours importants sur le titre. En outre, un dispositif d'appel de marge permet de suivre rigoureusement les postions des opérateurs évaluées au prix de marché et de procéder, le cas échéant, à la liquidation des pertes et gains avant l'ouverture de la séance suivante. Enfin, il est à signaler que l'émission d'un produit dérivé n'est pas un processus irréversible et qu'il est toujours possible de réviser les caractéristiques d'un produit ou d'ajuster les règles de fonctionnement du marché au regard de l'évolution du marché et les orientations qu'on veut lui infléchir. Quelques institutions comme la BMCE ont précédé la loi en lançant des options sur action ? L'institution à laquelle vous faites allusion a lancé effectivement des produits à terme, dans un cadre contractuel, de gré à gré. La BMCE a, de son propre chef, consulté le CDVM et Bank Al-Maghrib avant la commercialisation de ces produits. Le CDVM s'est assuré que la construction proposée n'était pas en contradiction avec la législation en vigueur et a formulé un certain nombre de recommandations ayant notamment trait à l'information des clients et à l'assurance qu'ils ont une connaissance suffisante des mécanismes qui régissent les produits proposés. Ce sont là des initiatives louables qui permettent de faire avancer le marché. Comme vous le savez, chez nous, c'est souvent les textes qui font les marchés : c'est grâce à la réforme de 1993 et des compléments apportés depuis, que les marchés des capitaux ont connu le développement auquel nous assistons. Il est important que les opérateurs jouent leur rôle en étant force d'innovation voire force de proposition. Donc l'on peut dire que le marché casablancais est mûr pour être doublé d'un marché à terme ? Pour votre information, le CDVM avait élaboré un projet de loi relatif au marché à terme il y a plus de 5 ans maintenant. Mais, à l'époque, le marché n'offrait pas la profondeur nécessaire pour sa mise en place. L'activité du marché est désormais d'une toute autre échelle et les conditions en termes de liquidité sont aujourd'hui réunies pour nombre de valeurs qui peuvent servir de sous-jacent. Au stade actuel, l'on peut dire que les premiers produits dérivés qui seront lancés sur le marché réglementé porteront probablement sur les émissions d'Etat, précisément sur le 5 ans qui se trouve être la maturité offrant le plus de profondeur. L'on assiste dernièrement à un rapprochement entre le CDVM marocain et son homologue tunisien. Qu'en est-il ? Nous avons signé avec notre homologue tunisien une convention portant sur la consultation, la coopération et l'échange d'informations. En général, les conventions signées entre autorités de marchés portent sur les échanges d'informations pour les besoins d'enquêtes. Pour ce qui est de celle qui nous lie au CMF Tunisien, nous avons souhaité aller plus loin et inscrire notre volonté commune de coopérer étroitement en vue de favoriser une future intégration financière régionale maghrébine. Par une harmonisation de certaines de nos règles, nous pourrions favoriser les échanges en permettant, par exemple, la double cotation des entreprises marocaines et tunisiennes sur les places de Casablanca et de Tunis. De même, l'objectif à terme serait de permettre aux investisseurs des deux pays de pouvoir acquérir des titres indépendamment de leur lieu de cotation. Comme je le signalais d'emblée, notre ambition est plus large puisqu'elle vise une intégration à l'échelle maghrébine. Marché à terme : assurance ou spéculation ? L'aversion au risque a toujours été source d'innovation de la part des investisseurs. Pas étonnant que cela soit en Amérique, en plein boom industriel du 19e siècle, que les négociants de matières premières (maïs, blé, avoine, sucre, café) aient imaginé des formules pour se prémunir contre les fluctuations des cours. Les contrats à terme couvrent aujourd'hui l'or, l'argent, le pétrole, le gaz naturel, le soja, le bétail, le coton, et bien sûr les produits financiers. Grâce à un marché à terme, un investisseur peut aisément se couvrir contre les variations d'un actif, d'une devise, des taux d'intérêt, des emprunts d'Etat, les indices boursiers. Au Maroc, les conditions de liquidité du marché sont réunies pour mettre de tels instruments au profit des investisseurs. Selon les observateurs, ce besoin se situe sur les activités import-export, notamment sur la fluctuation du dirham par rapport à l'euro et sur les cours du pétrole. A terme, des produits dérivés sur les aléas climatiques (sécheresse) pourront aussi voir le jour. Reste à la loi d'être suffisamment claire pour que l'instrument d'assurance qu'il était au départ, le contrat à terme ne se transforme en instrument de spéculation.