La refonte de la loi régissant le CDVM intervenue en 2004 a élargi les pouvoirs du gendarme du marché. Pourtant, lapplication de la loi reste tributaire du règlement général qui dort, depuis déjà quatre ans, dans les tiroirs du Secrétariat Général du Gouvernement. En attendant son approbation, «lautorité qui veille sur votre épargne» reste les bras liés ne pouvant point sanctionner les délits boursiers. Le blâme et lavertissement verbal restent son unique cheval de bataille! Le CDVM joue-t-il bien son rôle ? A-t-il les moyens de ses ambitions? Hicham Elalamy, Directeur général adjoint du CDVM, nous livre ses réponses. Finances News Hebdo : On ne compte plus les transactions douteuses depuis quelque temps. Les exemples ne manquent pas. Il y a, bien sûr, des enquêtes qui sont menées par le CDVM mais qui naboutissent à rien de concret. Sagit-il de décisions politiques que personne nose prendre? Quest-ce qui bloque au juste ? Hicham Elalamy : Tout dabord, je ne pense pas que notre marché soit caractérisé par un nombre alarmant de transactions suspectes. Aujourdhui, il y a un intérêt grandissant pour le marché boursier, tout le monde sy intéresse, spécialistes et profanes. Le marché est en plein essor et il y a plus de volumes et de transactions. Donc, forcément, nous avons limpression quil y a plus de choses qui ne fonctionnent pas. Mais je peux vous assurer que par rapport à dautres marchés, on nest pas moins sains. Il suffit quil y ait une hausse de cours pour quon crie à la manipulation. On va vite en besogne. Ceci dit, il y a bien entendu des transactions suspectes, comme partout au monde. Mais il faut savoir dabord ce quest une transaction suspecte. Cest une opération que lon décèle à partir du moment où lon a un comportement anormal. Anormal par rapport à une norme, à un historique Ce quil faut savoir cest quaujourdhui, nous scrutons lensemble des transactions. Nous avons des outils et des équipes dédiés à cela. Nous le faisons en temps réel à travers des écrans de surveillance. Sans compter que nous avons également une surveillance en différé. Celle-ci se fait sur la base dinformations et de fichiers que nous recevons de la Bourse. Nous retraitons tout cela avec des outils statistiques, qui existent partout dans le monde, mais que nous avons vraiment adaptés pour quils soient en adéquation avec notre marché. À partir du moment où nous avons un cours qui évolue à la hausse ou à la baisse dune manière anormale (différente dun historique), ou alors quon a des quantités importantes par rapport à lhistorique pour nous, cest déjà une transaction anormale que lon doit examiner de près. Et là, nous essayons de comprendre. Ça peut effectivement être dû à une information qui a été communiquée par la société au niveau de la presse et le marché a réagi. Il peut y avoir une information qui concerne le secteur de son activité etc. À partir du moment où nous navons pas une explication convaincante, la valeur est mise sous surveillance rapprochée. Jusquà ce que lon comprenne. Si maintenant, il y a une information importante qui sort après, on se dit quil y a eu peut-être fuite. Mais cela est un exercice qui est extrêmement fastidieux et long. Tout ce qui est délit boursier est difficile à prouver. Parce quil faut vraiment des preuves irréfutables pour adresser le dossier à la Justice, même pour les Justices qui sont déjà habituées à ce type de dossier. Ce qui nest pas le cas aujourdhui au Maroc. Mais il faut bien commencer. On ne peut pas faire de reproche à la Justice marocaine. Pour linstant, seul un cas de manipulation de cours a été déposé à la Justice et qui est en cours de traitement. Mais je peux vous dire dores et déjà que ça prendra du temps, et ce pour plusieurs raisons. Dabord et de manière générale, ce sont des dossiers qui prennent tout naturellement du temps. Et en particulier, chez nous, car il sagit de cas nouveaux. Il ny a pas de référence ou de cas similaires pour accélérer le traitement. Cest une découverte pour notre Justice. Cest un processus long et la Justice a besoin de preuves irréfutables pour statuer, et dautant plus si elle na pas lhabitude de ces concepts. Le fait que ce soit long pose en effet un problème de fond. Maintenant, certaines autorités qui ont vécu les mêmes difficultés que nous sont passées à autre chose. Dans certaines juridictions, les mêmes délits boursiers qui sont sanctionnés pénalement (par la Justice) peuvent également être punis administrativement par des sanctions pécuniaires. Si par exemple il y a un certain nombre déléments qui laissent croire quune personne a commis un délit, elle est convoquée et sanctionnée par une amende. Si la personne réfute la décision, ce qui est son plein droit, elle peut recourir à la Justice. Donc, soit vous choisissez la voie administrative, soit la voie pénale. F. N. H. : Cependant, le CDVM est autorisé depuis la reconstruction législative de 2004 à recourir aux sanctions pécuniaires, chose qui ne se fait pas encore H. E. : Tout à fait. Mais il faut être très clair sur ce point. Ce sont des sanctions pécuniaires pour non respect des circulaires. Maintenant, pour les délits boursiers, ils sont sanctionnés pénalement et le CDVM ne peut à aucun moment prononcer de sanctions pécuniaires en ces cas là. Il prononce des sanctions pécuniaires à lencontre des opérateurs quil contrôle (sociétés gestionnaires, sociétés de Bourse, sociétés de gestion, dépositaires ) pour non respect des circulaires exclusivement. Mais là aussi, la construction de 2004 prévoit un règlement général avec un barème de sanctions. Aujourdhui, ce règlement général nest pas encore mis en application. Du coup, on a un simple pouvoir virtuel. F. N. H. : Depuis 4 ans déjà H. E. : Nous avons travaillé nous-mêmes sur ce règlement général. Nous lavons élaboré. Il a été dailleurs validé par notre Conseil dadministration, par le ministère des Finances, et après il y a eu la suite que vous connaissez. Le projet est aujourdhui au Secrétariat général du gouvernement (SGG). Et cest là où il y a eu goulot détranglement. Ce nest pas le propre du marché financier. Aujourdhui, leffort législatif est très important au Maroc dans tous les domaines, mais il faut que le reste suive. Ceci étant, le SGG a un rôle très important. Ce nest pas une formalité. Il sassure quil ny a pas dincohérence densemble. Quil ny a pas de textes contradictoires, que le texte dapplication ne va pas au-delà de ce que prévoit la loi Cest un garde-fou très important. F. N. H. : Le fait quun homme politique, en loccurrence le ministre des Finances, préside le Conseil dadministration du CDVM ne vous dérange pas? H. E. : Nous avons aujourdhui un Conseil dadministration où le public et le privé sont représentés à parts égales. Effectivement, le politique ne doit pas interférer dans les décisions du Conseil, parce quil peut y avoir en effet des conflits dintérêts. Maintenant, ce quil faut savoir, cest que dans le règlement général du CDVM, il y a des règles qui régissent ce genre de situations. À partir du moment où un administrateur, quel quil soit, se trouve en situation de conflit dintérêts, il ne participe pas aux délibérations du Conseil. F. N. H. : Lequel règlement général nest pas encore appliqué! H. E. : Nous nattendons pas que le règlement général sorte. Ce sont des pratiques qui sont déjà effectives. Mais elles le seront bientôt dans le règlement général du CDVM, approuvé par arrêté du ministre des Finances. Aujourdhui, ces règles sont contenues dans un code déontologique, que nous avons conçu en 1995 et qui sapplique aussi bien au personnel du CDVM quaux membres du Conseil dadministration. F. N. H. : Revenons aux enquêtes que mène le CDVM. Comment expliquez-vous que sur 39 enquêtes menées entre 1999 et fin 2006, aucune na abouti à des poursuites judiciaires? H. E. : Il ny avait tout simplement pas déléments suffisants vu ce qui est attendu par la Justice aujourdhui. F. N. H. : Le CDVM a-t-il le pouvoir dinvestigation nécessaire pour réunir les preuves? H. E. : Oui, mais ce nest pas parce quon a le pouvoir dinvestigation quon trouve forcément toutes les preuves nécessaires. F. N. H. : Jusquoù peut aller le CDVM dans ses investigations? H. E. : À partir de 2004, il peut aller assez loin. Il peut même faire des perquisitions au domicile. Il doit être accompagné de la police judiciaire sur décision de la Justice. Mais nous avons encore aujourdhui quelques écueils. F. N. H. : Avez-vous accès aux conversations téléphoniques privées? H. E. : Les opérateurs télécoms sont soumis au secret professionnel. Les relevés téléphoniques peuvent bien évidemment nous être très utiles, mais nous ny avons pas accès aujourdhui. La réglementation doit évoluer. Il faut que la loi soit plus claire sur ce point-là. F. N. H. : Souvent, cest le silence du CDVM qui pose problème. Ne faut-il pas communiquer davantage sur ce que vous faites? H. E. : Nous ne sommes pas dans le domaine du show business. Il ne sagit pas de crier des choses sur tous les toits. Nous sommes dans un domaine qui est très délicat. On peut facilement porter lourdement préjudice à des personnes à tort tant quil ny a pas de preuves. Nous sommes, très souvent, dans lobligation de garder le silence. Et même le fait de communiquer sur un dossier ou sur une enquête peut porter préjudice à lenquête elle-même. Cest très facile de communiquer. Mais il faut savoir quand communiquer. Surtout pour ne pas faire de mal aux personnes. Ça aussi, cest une réelle contrainte. Le travail, on le fait. Les enquêtes, on les mène Mais nous sommes obligés de garder le silence. F. N. H. : Mais des fois, le fait de communiquer peut avoir un effet dissuasif immédiat. Celui qui compte manipuler saura quil y a une autorité qui fait son boulot H. E. : Mais notre travail daujourdhui a une dimension dissuasive, même si on a un dossier seulement de manipulation de cours en Justice. Les personnes auprès desquelles nous enquêtons le savent. Elles sont souvent convoquées. On les entend. Et ça se sait auprès des milieux du marché, ce qui est extrêmement dissuasif. Il faut savoir que beaucoup de choses ont changé et changent grâce à laction du CDVM. Il ny a pas que la sanction. Le but final, ce nest pas la sanction pour sanctionner. Mais lobjectif, cest davoir un marché qui soit globalement sain. Le marché parfait nexiste nulle part et nexistera nulle part. Il ny a pas de raison quil y ait un marché financier parfait alors que le code de la route est bafoué dans tous les sens et chaque jour. Si on avait un marché à la lumière de nos routes, ce serait catastrophique. Nous sommes, heureusement, à des années lumière de cela. Les règles du marché sont globalement respectées et les gens sont très attentifs F. N. H. : Pour parfaire le rôle du CDVM, il faut alors attendre la mise en application du règlement général de 2004 H. E. : Nous attendons bien sûr le règlement général. Aujourdhui, nous avons le pouvoir davertissement, de blâme Mais on voudrait rendre la sanction systématique. Parce quà un moment, lavertissement na plus deffet. Par contre, la sanction pécuniaire a un effet dissuasif immédiat. Ça va, bien sûr, beaucoup aider. F. N. H. : Sa mise en application est prévue pour quand ? H. E. : Pour cette année, on espère. F. N. H. : Laffaire GSI Maroc a remis à plat le dispositif de contrôle et de visa des informations publiées par les entreprises à loccasion dappel public à lépargne. Que vaut vraiment le visa du CDVM ? H. E. : Comme on le stipule clairement dans lavertissement qui est sur toutes les notes dinformation, le visa du CDVM nimplique ni lapprobation de lopportunité de lopération, ni lauthentification des informations présentées. Il est attribué après examen de la pertinence et de la cohérence des informations données dans la perspective de lopération présentée aux investisseurs. Le visa ne veut pas dire que lon peut acheter les yeux fermés. Il ne veut pas dire que tout ce quil y a dans la note dinformation est authentifié par le CDVM. Il est certes authentifié, mais pas par le CDVM. Le CDVM sassure quil a été authentifié par les personnes dont cest la responsabilité, à savoir le commissaire aux comptes, les dirigeants de la société, le conseiller financier et le conseiller juridique qui attestent chacun de la conformité des informations contenues dans la note dinformation à la réalité, chacun bien évidemment dans la limite de ses prérogatives et de ses compétences. Nous nous assurons que les attestations sont bonnes. Mais on ne peut pas faire le travail des autres. Ceci dit, le CDVM ne sarrête pas au recensement des documents collectés. On rencontre les dirigeants, le conseiller, on visite le site de production de lentreprise... On ne peut pas viser les notes sans comprendre lactivité de la société. Mais le visa nest pas un label de qualité. Pour le cas de GSI, on a fait tout cela. Est-ce que cela veut dire que notre façon de faire est parfaite ? Non. Le parfait nexiste pas. Nous sommes en perpétuelle amélioration. À chaque mission de contrôle que lon effectue, on se pose des questions. On est en perpétuelle remise en question. Cest normal. Et des cas comme GSI Maroc nous poussent à nous poser davantage de questions. F. N. H. : Quelles sont les questions que vous vous êtes posées après laffaire GSI? H. E. : Nous avons décidé que dorénavant, à chaque opération, nous allons consulter la centrale de contentieux de Bank Al-Maghrib. Si un contentieux avec un créancier nest pas annoncé dans la note dinformation malgré les différentes attestations, nous disposerons alors dune manière de recouper linformation. Nous ne le faisions pas. Nous allons désormais commencer à le faire. Nous rencontrions systématiquement les dirigeants, les conseillers Dorénavant, nous allons exiger la présence du commissaire aux comptes. Ce nétait pas systématique. Dans le cas de GSI, nous navons pas rencontré le commissaire aux comptes. Mais dorénavant, ce sera une action que nous allons généraliser pour tous les dossiers. On essaiera également dencadrer lactivité de conseil financier qui nest pas aujourdhui une activité réglementée. Ce nest pas une activité qui est explicitement énumérée parmi les activités que le CDVM contrôle. Mais nous avons quand même une disposition générale qui dit que tout ce qui touche de près ou de loin une opération sur les valeurs mobilières peut entrer dans le champ de contrôle du CDVM. Et cest le cas des conseillers financiers. En fait, il se trouve que nous avons entamé une réflexion en vue de lencadrement de lactivité de conseiller financier. Cest encore plus dactualité aujourdhui. Nous allons arrêter les diligences minimales quun conseiller doit mener dans le cadre des appels publics à lépargne. Nous avons un contact permanent avec la profession. Idem pour les commissaires aux comptes. Nous avons déjà pris attache avec lOrdre des experts-comptables et nous allons de la même manière formaliser les diligences minimales que doit effectuer un commissaire aux comptes à loccasion dopérations dappel public à lépargne. On ne remet pas en doute le travail des commissaires aux comptes, mais on juge aujourdhui quil est peut être utile davoir des normes spécifiques à ce type dopérations. Lobjectif étant daméliorer la façon de faire. Voilà donc en résumé quatre actions concrètes qui visent à améliorer notre façon de faire.