Mohamed Mounadim a été touché très tôt par la passion du bois : sculpture, ébénisterie, marqueterie et damasquinage sont les mots-clés de son métier. A 33 ans, il se sent prêt à lancer sa griffe sur le marché, après un long parcours de formation et de perfectionnement dans divers ateliers. Mohamed Mounadim, sculpteur sur bois, a un minbar dans la tête et pas n'importe lequel : celui de la mosquée Qarawiyyine de Fès. C'est qu'il a été sollicité pour participer à une consultation de maîtres-artisans, organisée par les responsables d'un projet de restauration sous l'égide de l'Unesco. Il était chargé, pour le compte d'une entreprise en compétition, de réaliser un modèle d'élément décoratif destiné à prendre place sur une partie du minbar, dans le cadre de sa restauration. Il garde de cette affaire un souvenir mitigé : l'immense satisfaction professionnelle d'avoir pu confronter son savoir-faire à un sommet de complexité technique et le profond chagrin d'avoir été exploité de façon mesquine par un entrepreneur cupide et inhumain. Il se trouve que depuis qu'il travaillait, il en a pris l'habitude. Sans pour autant s'y résigner tout à fait. Lui-même semble se demander comment il fait pour y croire encore. Dur, dur, de faire de l'artisanat en essayant de faire respecter son talent, tel pourrait être le cri de guerre de Mohamed Mounadim, maître-artisan de 33 ans. Sa carrière commence sur les traces de son frère aîné, sculpteur sur bois et ébéniste d'art. Quelques années durant, il se partagera entre le lycée et l'atelier, fasciné par le travail du bois et par ces mille et une techniques permettant de créer d'infinies merveilles. Il se passionne surtout pour la marqueterie, le damasquinage, le travail de la nacre et les incrustations de métal, argent ou cuivre. Le voilà en sixième année secondaire, quelques mois après la rentrée scolaire. Son premier apprentissage aux côtés de son frère l'a mis en contact avec le marché : les artisans, les producteurs de meubles et la clientèle. Mohamed s'est fait remarquer par ses talents de création: il ne se contente pas de reproduire les standards du genre, il apporte du nouveau ! Tant et si bien que c'est grâce à l'une de ses créations qu'une entreprise d'ébénisterie casablancaise décrochera une grosse commande pour un client particulier. Et qu'il sera en quelque sorte mis en demeure de choisir entre le lycée et l'artisanat. Son choix sera vite fait. Mohamed Mounadim est lancé. On met à sa disposition une équipe de jeunes apprentis, avec l'aide de laquelle il installe une chaîne de production de meubles de type syrien. De cette époque, il garde le souvenir d'une formidable exaltation : produire de la marqueterie fine, réinventer des techniques nécessairement sophistiquées, relever le défi consistant à faire produire par des artisans marocains les trésors de l'ébénisterie moyen-orientale. L'aventure durera deux ans et demi, avant qu'il estime avoir été suffisamment exploité… C'est donc lors d'une foire à Casablanca qu'il fait la connaissance d'un certain M. Bakoury, artisan ébéniste, venu exposer un remarquable minbar, « exceptionnellement beau », se souvient Mohamed avec émotion. Tellement beau qu'il décide de se rendre à Tétouan, où réside cet artisan, pour entrer en apprentissage auprès de lui. Mais le destin en disposera autrement. Une fois rendu à Tétouan, c'est auprès d'un autre artisan qu'il entreprendra de se perfectionner. De retour à Casablanca, il entreprend alors d'exploiter à son compte exclusif tout son savoir-faire accumulé. Il fait alors l'amère expérience des blocages en tous genres qui condamnent tant d'entrepreneurs en herbe à vivoter sans jamais vraiment décoller, faute de… « J'ai ce qu'on appelle un profil difficile, analyse très lucidement Mohamed Mounadim, les clients hésitent à me confier de grosses commandes dans la mesure ou je ne présente pas assez de garanties en tant que simple artisan; les ateliers ne cherchent qu'à profiter de la main-d'œuvre qu'ils voient en moi, sans respecter mes talents d'artiste et en opprimant mes apprentis ; quant au microcrédit, on me demande de trouver deux autres personnes pour prétendre à un prêt de 5000 dirhams chacun…» Nous sommes en 1995. Mohamed a vingt deux ans. Il est installé à Agadir, il travaille pour le compte d'un bazar, à faire valoir son art. C'est le début d'un parcours nomade qui le conduira successivement à Tanger puis à Essaouira à la recherche d'un atelier où s'enraciner. Il en retiendra surtout ses contacts avec les touristes et ce qu'ils lui ont toujours témoigné de considération et de respect. C'est ainsi également qu'il fera un jour la rencontre, à Essaouira, d'un entrepreneur à la recherche d'un artisan capable de prendre place dans un projet de restauration du minbar de la mosquée Qarawiyyine… Pour Mohamed, c'est une consécration : travailler sur un tel chef-d'œuvre est l'occasion ou jamais de démontrer sa maitrise du métier. Au point de lui faire oublier les conditions détestables dans lesquelles, une fois engagé par l'entrepreneur en question, il fut invité à travailler. «Ça ne fait rien, conclut Mohamed, je finirai par trouver la bonne porte où frapper. En attendant, je continue de me perfectionner…»