Sur le marché du travail, le télémarketing fait encore rêver malgré le stress et l'aliénation des cadences imposées. Doha, téléopératrice depuis trois ans, en témoigne sans pour autant se laisser décourager : « Il y a toujours de la place pour la créativité… ». Cela fait 3 ans que Doha est téléopératrice. Elle connaît le métier : «comme il se doit », souligne-t-elle. On est tout de suite convaincu par son engagement professionnel et son goût du travail bien fait. Depuis deux ans que Doha est confirmée, elle se donne d'ailleurs à fond, même si cela n'est pas toujours évident, comme elle dit, « de s'éclater dans ce genre de boulot ». Ce ne sont pourtant pas les occasions qui manquent de faire preuve de créativité. Par exemple, lors d'une opération de lancement d'une nouvelle activité, réaliser des objets promotionnels sur une thématique donnée: «Je m'étais amusée à fabriquer, à l'aide de papier, de carton, de pâte à modeler, de bois et de fils de fer, une série d'objets et de personnages extraits de l'univers du produit concerné. Tout le monde avait été enchanté par ma décoration. Malheureusement, après l'événement, l'équipe de nettoyage a estimé que tout cela était bon à jeter… Ça ne fait rien, il y aura d'autres événements et mon désir de créer trouvera toujours où s'exprimer ! » Doha a trente 30 ans. Son baccalauréat en poche, elle s'est inscrite à la faculté des sciences pour décrocher finalement de la biologie en cours de deuxième année. Suivront des études de langue allemande et d'informatique, un assortiment dont elle espérait plus de bénéfice sur le marché du travail. Diplômée en techniques d'analyse et de programmation, Doha s'est lancée à la recherche d'un premier emploi. Comme beaucoup d'autres jeunes de son profil, c'est vers le télémarketing qu'elle décide de se tourner, attirée par les avantages relatifs de ce métier. En décembre 2003, elle est recrutée chez son employeur actuel. Contrairement à d'autres, Doha ne considère pas ce job comme une planque, ou comme un volume mensuel d'heures de présence en échange d'un salaire et en attendant mieux. Tout de suite, elle se passionne. Elle commence par passer neuf mois au service de l'annuaire, après une formation au b.a-ba de la profession et une imprégnation à la culture et aux modes de vie français. Doha se plie de bonnes grâce aux contraintes traditionnelles de l'activité, notamment le fait d'adopter une personnalité de service. Elle s'appellera Doris Ray, hommage à Man Ray et clin d'œil aux amateurs de la série « Fame ». À l'autre bout du fil, sa vie quotidienne devient plus ou moins celle de ses interlocuteurs étrangers dont elle doit savoir se montrer proche, sans oublier de les servir au mieux. Y compris lorsqu'elle répond à des originaux : « Des fois tu tombes sur une vieille dame qui te fait des confidences intimes, ou sur quelqu'un qui tient absolument à te lire des poèmes. Il faut savoir gérer ce genre de situations, tout en optimisant la qualité de service et en respectant scrupuleusement les procédures. Dur, dur… » Tous les téléopérateurs vous le diront : le métier n'a rien d'une sinécure. « Il y a une telle pression de responsabilité que le stress s'accumule très vite… » Le problème, explique en substance Doha, est que les moments de pause sont généralement mis à profit pour évacuer tout ce stress, ce qui ne favorise pas forcément la relaxation et la concentration. Mais il faut croire que ces besoins-là sont rares et que l'idée d'une salle de détente silencieuse dans les centres d'appels n'est pas prête de se concrétiser. Après l'annuaire, Doha est passée au service clientèle où elle a perfectionné sa pratique et affiné ses interventions ; puis à la vente en ligne, dont elle ne tarde pas à se découvrir la vocation : « Le parcours qui conduit à une vente est extrêmement rigoureux, tout se joue sur des détails qui peuvent pourtant paraître insignifiants mais qui font toute notre expertise… » En évoquant les mille et une facettes de son métier, Doha se rend compte que tout cela n'est réellement éprouvant que pour ceux qui s'attachent à bien faire. Lucide, elle voit bien qu'il y a d'autres façons de faire mais ne parvient pas à s'y résoudre. Alors elle entretient son enthousiasme et sa créativité. Dans l'appartement qu'elle occupe en colocation, elle a entrepris un grand petit projet : en faire un espace d'exposition d'œuvres artistiques, libre à qui voudrait de peindre sur les murs. Parmi le petit groupe de participants, l'un de ses collègues téléopérateurs : «Notre métier est un gros consommateur d'énergie mais rien de tel que la création artistique pour recharger ses batteries !», commente Doha. Sur son balcon, qui donne sur un boulevard très fréquenté de Casablanca, Doha finit de retoucher la fresque de motifs floraux qu'elle a entrepris de réaliser. Malgré la poussière grasse des autobus et des taxis qui menacent. En résistant à la tentation de baisser les bras. Casablancaise d'adoption, Doha semble avoir fait sa place dans cette ville qui l'a adoptée et lui a permis d'affirmer ses différences et sa personnalité. Sous ses mèches rasta, Doha est plus insaisissable qu'elle ne paraît.