L'ancien directeur de la télévision marocaine, Abdellah Chakroun, vient de publier un nouvel ouvrage. A travers «Réflexions sur l'audiovisuel et le théâtre », l'auteur parle de l'évolution de la télévision au Maroc et de la mission éducative de ce média de masse. ALM : Dans l'ouvrage «réflexions sur l'audiovisuel au Maroc» vous avez consacré un chapitre important à la création de la télévision au Maroc. Pensez- vous que durant les années cinquante, le climat était propice au développement de ce média ? Abdellah Chakroun : La télévision a été créée au Maroc pendant la présence française. C'est suite à une idée du colonisateur et de quelques particuliers marocains que la Société de radiodiffusion et de télévision Telma est née et a commencé, en février 1954, à émettre ses programmes à partir des studios d'Ain Chock. Pourquoi la télévision a-t-elle été installée à Casablanca ? Cela est dû à une raison simple. Casablanca a toujours été la capitale économique du Maroc. Les Français considéraient que c'était une ville adéquate pour nouer des relations sur le plan financier et pour attirer davantage de bailleurs de fonds. Une télévision a besoin d'argent et les responsables de cette chaîne en étaient conscients. La Telma était une société privée, quels étaient ses principaux actionnaires ? L'actionnariat de la Telma était composé en majorité de fonds français et hollandais. Une compagnie d'électricité de France faisait partie des bailleurs de fonds. Mais les Français n'étaient pas les seuls à financer cette entreprise. Comme je l'ai déjà cité, des Marocains étaient également de la partie. Cependant, leur implication n'était pas rendue publique. Ils ne voulaient pas qu'on les connaisse pour ne pas avoir des ennuis. Ils allaient être considérés comme des collaborateurs de la France ou des traîtres. Comment se profilaient les programmes diffusés sur la Telma à l'époque ? Le cahier de charge de la Telma était clair. La chaîne capitalisait sur des têtes d'affiches françaises. Elle faisait appel à des artistes et à des animateurs qu'elle payait le double du prix qu'ils pouvaient avoir chez eux. L'offre était alléchante. Les techniciens venaient directement de France et étaient bien choyés. Ils avaient des avantages et la Telma mettait même des logements à leur disposition. La Telma a été achetée par l'Etat en 1960, comment s'est déroulé ce passage d'une télévision privée vers une télévision publique ? Après un an d'existence et après avoir couvert le retour du Roi Mohammed V de l'exil en 1955, la Telma s'est éteinte à cause de problèmes financiers. Les promoteurs de cette télévision espéraient encore pouvoir reprendre leurs activités, mais sans résultats. Durant les premières années de l'indépendance, le gouvernement marocain voulait disposer d'une télévision nationale. C'est ainsi que l'Etat a racheté la Telma au prix symbolique de 100 millions de francs. Il a également signé un contrat avec la radio-télévision italienne RAI. Les Italiens ont ainsi assuré la formation des cadres et mis à notre disposition une expertise technique ainsi que du matériel. Pourquoi la télévision s'est-elle déplacée de Casablanca vers Rabat ? C'est simple, l'Etat voulait avoir le contrôle de l'information. Il fallait avoir l'œil sur tout ce qui se passait à la télévision. Au début, le siège de la radio et télévision a été installé au quatrième étage du théâtre Mohammed V, là où se trouve actuellement l'Institut des arts dramatiques. C'était une période difficile, il n'y avait pas d'ascenseurs, il fallait escalader les 93 marches du bâtiment. Ce n'est que quelques années plus tard qu'il y a eu la création de Dar Brihi. Le personnel de la radio-télévision travaillait en direct. Il n'enregistrait rien. Les comédiens apprenaient leurs textes par cœur,… Dans cet ouvrage, vous traitez du rôle éducatif de la télévision marocaine. Pensez-vous que cette mission a été bien assurée ? En 1964, une chaîne éducative a été créée au sein même de la télévision. Elle a été fondée sous l'initiative d'un groupe d'instituteurs et de cadres éducatifs. Les gens qui y travaillaient assuraient cette mission avec doigté. On avait confectionné une salle pour une troupe d'enfants. Dans ce local, certains fabriquaient des marionnettes destinées à être filmées et à faire l'objet d'une émission TV. Un jour, le directeur général a vu ce qui se faisait. Résultat : il a mis fin aux activités de cette cellule éducative.