En visite en Bavière, sa patrie, où il fut jadis membre des Jeunesses hitlériennes, Benoît XVI a tenu des propos d'une rare intolérance envers l'Islam. Il renoue ainsi avec «l'enseignement du mépris» professé, des siècles durant, par Rome envers les «infidèles» : Juifs ou Musulmans. Lors de sa participation, peu de temps après son élection, aux journées mondiales de la Jeunesse à Cologne, le nouveau souverain pontife avait agréablement surpris en se rendant à la synagogue et au Centre culturel musulman de la ville dont il fut autrefois l'archevêque. Beaucoup avaient voulu y voir de sa part une volonté de poursuivre la politique de dialogue de son prédécesseur avec les autres religions monothéistes. Le discours qu'il a prononcé le 12 septembre à l'université catholique de Ratisbonne, où il enseigna de 1969 à 1977, montre qu'il n'en est rien. Il a laissé parler sa véritable nature et montré son ultra-conservatisme qui renoue avec les traditions théologiques antérieures au concile de Vatican II. Certes, dans une Allemagne encore traumatisée par la marque du Mazisme, il a pris garde de ne pas attaquer le judaïsme. C'eut été d'autant plus malvenu qu'en 1096, Ratisbonne fut le théâtre d'un sanglant massacre de Juifs fomenté par les Croisés. Sur le chemin de Jérusalem, qu'ils voulaient délivrer des «Sarrasins», ces «soldats du Christ» massacrèrent les «infidèles locaux», prélude au bain de sang qui accompagna, en 1099, la prise de Jérusalem par Godefroy de Bouillon. Selon les chroniqueurs de l'époque, la tuerie des Juifs et des Musulmans de la Ville sainte fut telle que «le sang dégoulinait en véritable torrent dans les ruelles». A Ratisbonne, le lendemain des cérémonies commémoratives de la tragédie du 11 septembre 2001, Benoît XVI a dirigé ses attaques contre l'Islam. Dénonçant le fondamentalisme comme l'une des «maladies mortelles» de la religion, il a vigoureusement critiqué l'intégrisme, cette «pathologie de la religion» et «les destructions de l'image de Dieu provoquées par la haine et le fanatisme». Il ne s'agissait pas de l'intégrisme catholique, incarné par les disciples de Mgr Lefebvre qui ont été, ces jours-ci, réintégrés dans le giron de l'église catholique, mais tout l'Islam. Car, si pour le pape, il est important « de dire avec clarté, en quel Dieu nous croyons, et de professer, avec conviction, le visage humain de la religion», il est clair que, pour le souverain pontife Benoît Xvi, l'Islam, toutes tendances confondues, n'est pas capable de cette «vision éclairée» de la religion. Pour «preuve» de cette étonnante assertion, le pape est allé jusqu'à citer un empereur byzantin, Manuel II Paléologue qui, lors d'une controverse avec un érudit persan musulman, avait affirmé à ce dernier : «Montre moi donc que Mahomet a apporté de nouveau. Tu ne trouveras que des choses mauvaises et inhumaines comme le droit de défendre par l'épée la foi». Le pape considère que tout l'Islam est fondé sur la notion de «djihad». Et Benoît XVI, en oubliant l'horreur du nazisme qui façonna sa jeunesse, en conclut : «Celui qui veut conduire quelqu'un vers la foi doit être capable de parler bien et de penser juste, et non de violence et de menace»… La phrase décisive dans cette argumentation de l'empereur de Constantinople contre la conversion forcée est la suivante ; agir de manière déraisonnable est contraire à la nature de Dieu. Pour l'empereur, un Byzantin éduqué dans la philosophie grecque, cette phrase est évidente. En revanche, pour la doctrine musulmane, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n'est liée à aucune de nos catégories, pas même celle de la raison. Benoît XVI est peut-être bon théologien, il est médiocre historien, mauvais historien tout court. Et, curieusement, encore plus mauvais historien des religions. Faute de quoi il aurait su que l'Islam fut, au Moyen Age, un modèle de tolérance par rapport à un christianisme fanatique et obscurantiste qui institua l'Inquisition, brûla les hérétiques, expulsa Juifs et Musulmans comme ce fut le cas dans l'Espagne de la Reconquista. L'inquisition fut un frein au développement de la recherche scientifique et philosophique illustrée au contraire par un Averroès, un Avicenne musulmans ou un Maïmonide juif. La dhimma (protection) garantissait aux «peuples du Livre» la liberté, moyennant le paiement de la djizzya et du kharadj, la liberté de culte et de conscience et permit la naissance d'Al Andalus, cette Espagne des trois religions, qui reste aujourd'hui un modèle. Oublieux de cette réalité, Benoît XVI ne fait rien d'autre que de proposer aux autres confessions chrétiennes (protestantes ou orthodoxes) une «saine alliance» pour un «djihad» spirituel contre l'Islam qu'il perçoit comme une menace contre l'Occident. En fait, il fait siennes les théories du néo-conservateur américain Samuel Huttington, idéologue du «choc des civilisations». On peut certes concéder au pape que le monde est plein de «confusion» et que les religions, dans ce qu'elles ont de plus pur et de plus noble, peuvent répondre aux aspirations des êtres humains. Toutes les religions et pas une seule en particulier. Quant à l'intégrisme et au fondamentalisme, il existe aussi chez les Juifs et chez les Chrétiens et doit être combattu. Enfin, l'église catholique gagnerait à faire son examen de conscience et à se débarrasser une fois pour toutes des préjugés racistes qui la virent sympathiser, un temps, avec le nazisme ou soutenir le colonialisme au nom de l'idée «missionnaire». La crise qu'il a déclenchée pourrait peut-être permettre à Benoît XVI de s'en rendre compte et de «redresser la barre». Faute de quoi son pontificat constituera une régression que ses successeurs devront réparer. Difficilement car ils auront perdu l'estime et l'amitié des autres croyants. A moins que Benoît XVI n'arrive à «évacuer» ses années de jeunesse SS et ne devienne un pape acceptant et respectant les valeurs des autres religions monothéistes contemporaines, à commencer par l'Islam.