Qui a dit que les partis politiques étaient morts ? On peut, certes, contester leurs méthodes de travail, mais nier leur rôle revient à créer un vide qui ne profiterait qu'à l'intégrisme, selon l'Istiqlalien Larbi Messari. Entretien. ALM : Quel regard portez-vous sur le Maroc d'aujourd'hui sous le règne de Mohammed VI ? Larbi Messari : Un Maroc confiant en lui-même, conduit par un Roi qui œuvre pour que la monarchie soit aimée et respectée. Le Maroc d'aujourd'hui réunit des conditions qui se font rares dans des pays semblables: large consensus national, une vision claire et nécessaire à l'édification de l'avenir. Comment voyez-vous une initiative comme l'INDH ? Il faut que l'INDH soit intégrée dans le programme d'action du gouvernement et, par conséquent, se prête à l'examen devant les instances élues. Toutes les opérations financées par l'argent du contribuable doivent se soumettre au contrôle et à la loi. A mon sens, toutes les opérations similaires doivent être rattachées aux différents départements ministériels, pour que les activités concernées par ces opérations soient discutées. Le Maroc se porte-t-il mieux qu'hier sur le plan économique ? Absolument, il y a une nouvelle dynamique. Le Maroc a réussi à avoir la confiance des investisseurs, jeté des bases de travail susceptibles d'accélérer la cadence de création des entreprises, d'améliorer le travail de la justice, de surmonter les obstacles administratifs et de renforcer la transparence. Pourquoi le Maroc ne s'est-il pas lancé dans pareille politique avant ? Tous les esprits étaient préoccupés par le souci sécuritaire. Les grandes opérations qu'a connues le Maroc, tels que la nationalisation et le recouvrement des terres colonisées, avaient pour objectif la création d'une couche rattachée au régime par des intérêts. Cela a donné naissance à une couche parasite dépourvue de projet. Cette couche voulait que l'Etat lui assure la protection contre toute concurrence, que ce dernier se charge de réprimer les ouvriers. Cette couche était défendue par de pseudo institutions élues. Le Rapport sur le Cinquantenaire est un bilan sans concessions qui a montré les réalisations du Maroc mais aussi les ratages et les insuffisances dans nombre de secteurs… Quel est votre regard sur ce rapport ? En réalité, ce rapport est une référence, qui doit nous inciter à tirer les leçons de notre passé et nous permettre d'éviter les erreurs des générations passées. Il nous incombe, aujourd'hui, de laisser de côté les politiques, les mentalités et les mécanismes qui nous ont menés à l'impasse. C'est la plus la grande leçon que nous devons tirer. Avec le recul, comment trouvez-vous le travail de l'IER, une action qui a été accueillie à son début avec beaucoup d'appréhension par certains acteurs politiques, la peur d'ouvrir la Boîte de Pandore et de diviser la société en regardant un passé lourd d'atteintes aux droits de l'Homme… Quel est votre point de vue ? Le Maroc a-t-il bien tourné la page du passé ? Il était intéressant pour les Marocains d'ouvrir la page de leur passé en vue de l'examiner avant de la fermer. Il n'était pas demandé à l'Instance Equité et Réconciliation (IER) de s'ériger en tribunal, ni d'ouvrir la porte à des vengeances. En Espagne, il y a un projet de loi adopté, depuis quelques jours, par le gouvernement et qui sera soumis au débat lors de la prochaine législature, stipulant le dédommagement des victimes des exactions perpétrées sous le règne de Franco, mais en s'abstenant de citer les noms de leurs auteurs. Les Espagnols se demandent à leur tour s'il serait juste que les choses se passent de cette manière, mais la manière et l'esprit avec lesquels ce projet a été élaboré le mettent au-dessus de toute formule revancharde. C'est exactement ce qui s'est passé au Maroc. S'arrêter sur les erreurs, les identifier, et faire en sorte qu'elles ne se reproduisent plus. Le Maroc est un pays de plus en plus solidaire où l'associatif connaît une dynamique indéniable. Qu'en pensez-vous ? Effectivement, grâce à l'éducation islamique, les valeurs de solidarité sont restées très fortes chez nous. Pourtant, il faut reconnaître que ces valeurs sont en danger. La vie moderne facilite l'effritement de la société. Il importe aux éducateurs et aux sociologues de procéder à l'étude des changements et d'orienter les pouvoirs décisionnels dans le bon sens. Et les partis politiques, pourquoi donnent-ils l'impression d'être perdus dans ce « Maroc nouveau»? A un moment où les espaces de militance et d'action sont ouverts, ils sont quasiment absents… Crise d'élite, crise d'initiative. De quoi il s'agit ? Est-ce la fin de la politique ? C'est une erreur que d'attribuer tous les inconvénients aux partis, au point de dire qu'ils sont absents. Il faut rappeler que le Maroc nouveau est le produit d'un processus dans l'évolution duquel les partis politiques ont joué un rôle principal et direct. Notre sortie de crise et de rupture vers l'ouverture et l'édification d'une société démocratique moderne a pu se réaliser grâce à des interlocuteurs crédibles. La transition fut le résultat de négociations dans lesquelles les partis démocratiques ont joué un rôle primordial. Nier cela peut mener à la création d'un vide, et c'est le pire qui puisse arriver. Et cela n'arrivera absolument pas, parce que nous sommes une société organisée ayant accumulé de longues et diverses expertises. Nos partis sont, également, capables de rectifier leurs méthodes de travail. Il n'y a pas de démocratie sans partis. Ce qui a pris fin, ce n'est pas la politique, mais les pratiques politiques anciennes. 80 % des conseils de la Banque mondiale, portant sur la bonne gestion d'une économie globalisée, tournent autour de la gouvernance. Ces conseils, c'est de la politique. Ce vide politique profite aux islamistes qui ont entrepris d'occuper le terrain à leur manière. Y a-t-il un péril islamiste ? Le péril n'est pas incarné uniquement par les islamistes. Le vide est comblé par toutes sortes d'extrémismes. Le péril est le vide lui-même, c'est le fait que des catégories aient le sentiment de ne pas être représentées dûment au sein des institutions où la chose publique est débattue et où les décisions sont prises. C'est ce que les sciences politiques appellent les forces hors-système. L'intégrisme est tout comportement rejeté par le groupe. Et ce qui serait opportun, c'est de prendre en compte tout ce qui peut élargir le consensus national et rallier autour du projet de société. Comment évaluez-vous le travail du gouvernement actuel ? A-t-il du mérite ou a-t-il démérité ? L'actuel gouvernement travaille à un rythme satisfaisant, il a accompli plusieurs réalisations. Tout indique que ce gouvernement concrétisera les programmes contenus dans la déclaration gouvernementale, si ce n'est plus. Comment envisagez-vous l'avenir du Maroc? Etes-vous optimiste ? Qu'est-ce qu'il faut faire pour moderniser le pays de manière irréversible et l'extraire aux différents archaïsmes ? En conformité avec le diagnostic que j'ai établi, je ne peux qu'être optimiste. Nous avons entamé un nouveau millénaire jalonné de plusieurs acquis positifs. SM le Roi a entrepris des initiatives qui prêtent à l'optimisme. Revoir à la baisse l'âge de vote, le Code de la famille, l'élargissement des marges de pratique de la liberté d'expression, l'acceptation du défi de l'économie de marché, du principe de concurrence, de la confiance en soi et l'intégration dans la logique de l'époque. L'Histoire retiendra que ce courage était opportun, que son artisan, SM le Roi, avait su tâter le pouls de la jeunesse marocaine.