Prédicateur bon chic bon genre, Tarik Ramadan était au Maroc où il a donné, jeudi 25 décembre, une conférence sur le thème “Islam et modernité“. Le théologien, qui a attiré un public sélect constitué en grande partie du beau linge n'oublie pas, toutefois, de facturer ses interventions. Cet intellectuel de 42 ans, très présent en France par ses joutes oratoires et son ton polémiste, se veut le porte-drapeau d'un Islam moderne et modéré. Tarik Ramadan sait souffler le show et le froid, selon qu'il se trouve sur un plateau de télévision ou dans une mosquée. Quelle file de voitures ! Elle s'étendait sur près de deux kilomètres des deux côtés du boulevard Imam Malik à Rabat. Elle indiquait de très loin le lieu de la prestation de Tarik Ramadan. Une foule inaccoutumée s'activait au seuil de la porte de la villa cossue de la Fondation Allal Al Fassi. Des photographes en sortaient, des cameramen réglaient leurs bobines, d'autres personnes fumaient une cigarette pour mieux savourer, dans le brouillard de la fumée, la consistance d'un idée fuyante. Pour la circonstance, la villa s'est, quant à elle, parée de ses plus beaux atours. Elle a été illuminée de guirlandes. Le fan de Tarik Ramadan franchit le seuil de la porte et il est immédiatement saisi par le nombre de personnes assises et debout dans le jardin. Elles regardaient, absorbaient les paroles de Tarik Ramadan par l'intermédiaire d'écrans géants et de haut-parleurs. L'orateur tenait en effet sa conférence à l'intérieur de l'édifice où seuls les dignitaires du Parti Istiqlal et des personnes venues des heures à l'avance, ont eu l'extrême honneur d'apprécier, sans interface, la délicatesse de la gestuelle qui accompagne ses propos. La séduction du discours de l'homme opérait toutefois parfaitement sur ses interlocuteurs, qu'ils soient installés à l'intérieur ou à l'extérieur du bâtiment. Rarement, on aura vu un public aussi littéralement subjugué par un orateur. C'est que l'homme se connaît dans l'art de tenir des foules en haleine. C'est un rhétoricien, formé dans la redoutable école de rhétorique : l'école de Genève. Il en a retenu toutes les ruses pour persuader son vis-à-vis du bien-fondé de son propos. Il en a retenu toutes les stratégies pour entraîner son interlocuteur à l'adhésion. Cette virtuosité dans l'art de construire un discours a été abondamment déployée lors de la soirée du jeudi. S'exprimant sur le thème “Islam et modernité”, Tarik Ramadan s'est livré à une rhétorique de l'anguille. “La modernité est la capacité d'être en phase avec le temps présent et de relever les défis du monde contemporain sans pour autant renoncer aux principes fondamentaux de l'Islam”,“tout est permis sauf ce qui est interdit”, “le texte et le contexte”, “nous avons une religion inclusive et non pas exclusive”. Tarik Ramadan avance ainsi avec la chose et son contraire, exploitant une figure de style qui rappelle l'oxymoron - employée pour frapper par la conjonction de deux mots de sens contradictoires les esprits. Il entretient de surcroît un savant dosage pour ne jamais prononcer la phrase ou le mot qui démasquerait les fins de son discours. Loue-t-il un retour au texte qu'il change immédiatement de cap pour dénoncer ceux qui s'y collent tout en se fermant aux domaines des sciences et des arts. Mieux, il les fustige : “En quoi êtes-vous créatifs par rapport aux Occidentaux ?” Il les exhorte à “faire acte de créativité dans les champs sociaux et culturels”. Toujours dans le chapitre des blâmes, l'orateur dénonce “ceux qui vivent à Casablanca comme s'ils étaient à Paris”. Ceux qui renient leur identité et “reconnaissent celle de l'autre”. À l'adresse de ces brebis égarées, Tarik Ramadan explique que la modernité se distingue de “l'occidentalisation”. Le modèle de la modernité n'est pas indissociable de l'Occident. Par le biais d'une terminologie théologique, “Qias” ou “Al Ijmaa”, il exhorte son public au retour vers la tradition du Texte et de la sunna. Non seulement, ce retour aux sources ne s'oppose pas à la modernité, mais il la dote d'une “éthique”. La référence au Texte est une exigence pour ne pas perdre son identité tout en maintenant le cap de la modernité, tel est le fin mot du discours de Tarik Ramadan. Et c'est en cela qu'il est un prédicateur et non pas un penseur. Il place la religion comme unique fin pour trouver le salut. S'il ne vient à personne l'idée de remettre en question les convictions religieuses des individus, pourquoi faut-il se référer au Texte pour ne pas perdre son identité et non pas l'Histoire par exemple ? Parmi les nombreux pays qui fascinent justement le public de Tarik Ramadan, la référence est généralement culturelle ou nationaliste et rarement religieuse. Et puis à quel public s'adresse Tarik Ramadan ? Parmi son auditoire du jeudi, il y avait très peu de barbus et de femmes voilées. De nombreuses femmes, habillées à la mode occidentale, buvaient ses paroles. C'est parmi ce public francophone que le prédicateur cherche ses proies. Il ne lui viendrait pas à l'idée de prêcher des convaincus dans les quartiers populaires. Nombre de ceux-là ne comprendraient même pas les subtilités de son discours, prononcé en français. Un discours qui a sa part de séduction et de bon sens indéniables. Qui fascine à plus d'un égard de prime abord, mais dès qu'on frotte un peu le vernis discursif, que reste-t-il ? La parole d'un prédicateur ! Le comble de la modernité pour Tarik Ramadan, serait sans doute que l'une des jeunes femmes qui étaient en religion devant lui rentre chez elle, se débarrasse des habits qui moulaient ses formes saillantes, et sorte le lendemain enveloppée dans un voile.