La dégradation de la situation dans la bande de Gaza profite au gouvernement d'Ismaïl Haniyeh, qui bénéficie des erreurs d'appréciations commises par Israël et de l'effacement provisoire de Mahmoud Abbas. L'accélération des événements au Proche-Orient est telle qu'on oublie qu'à l'origine se trouve, avant l'attaque du poste israélien de Kerem Shalom le 25 juin dernier (trois soldats israéliens tués et un caporal, Gilad Shalit enlevé) dans « l 'élimination ciblée » d'un chef militaire du Hamas à Gaza, Abou Samadhana, tué le 9 juin. Cette élimination est intervenue le jour même où l'armée irakienne, appuyée par les Américains, tuaient, près de Bagdad. le Jordano-palestinien Abou Moussab al Zarquaoui, représentant en Irak d'Oussama Ben Laden et figure emblématique d'Al Qaïda Quoi qu'il en soit, Tsahal, l'armée israélienne, a engagé une véritable opération mlitaire d'envergure, baptisée « Pluie d'Eté», qui ne lésine pas sur les moyens employés et les résultats obtenus. Plus de 40 Palestiniens, membres du Hamas ou d'autres groupes, ont été tués - encore s'agit-il d'un bilan provisoire. Dans la foulée, Israël a démantelé les institutions palestiniennes en arrêtant 64 ministres, parlementaires et responsables du Hamas en Cisjordanie. Dans un premier temps, il a annonce qu'ils seraient jugés pour complicité dans des actes de terrorisme avant d'envisager qu'ils pourraient constituer une monnaie d'échange pour la libération du soldat enlevé. Afin d'obtenir celle-ci et de répliquer aux tirs de Kassam à partir de Gaza sur les localités israéliennes de Sderot, Netivot et d'Ashkelon - dont le centre de cette station balnéaire, peuplée de 120 000 âmes, n'est plus à l'abri de tirs visant autrefois ses seuls faubourgs -, Tsahal a pénétré dans le sud, le nord et l'est de la bande de Gaza. Cette escalade met en danger la sécurité, jusque-là épargnée, de la population civile palestinienne.A la lumière de ces événements, on peut se demander si Tsahal, après avoir évacué unilatéralement la bande de Gaza à l'été 2005, n'est pas en passe de «s'enliser dans le bourbier de Gaza» comme elle le fit jadis au Liban.Editorialiste au grand quotidien populaire Yediot Aharonot, Alex Fishman fournit une esquisse de réponse dans un article intitulé: «Le Hamas déclare la guerre». Pour lui, le bon moment serait venu d'en finir avec la retenue autrefois observée par Ariel Sharon et de réaliser que le Hamas «a déclaré la guerre à Israël». II en veut pour preuve que, «toutes les deux heures, les dirigeants israéliens multiplient les déclarations menaçant soit la Syrie, soit le Hamas, soit Abou Mazen, voire une bonne partie de la planète».Ces déclarations pathétiques, du «bavardage politique», n'ont aucune valeur ni effet. Selon Alex Fishman, pour une simple raison: les destinataires de ces avertissements ne sont pas le moins du monde effrayés. Car ils sont conscients de la réalité. Le Hamas a effectivement pris sa décision: mettre un terme à la Houdna, à la trêve, observée depuis les rencontres inter palestiniennes du Caire en mars 2005, et reprendre les hostilités contre Israël. Ce choix stratégique fondamental du Hamas était mûri depuis de nombreux mois par ses dirigeants. Les opérations à l'origine de la flambée actuelle de violence –les tirs de Kassam, l'attaque du poste de Keren Shalom et la capture de Gilad Shalit- étaient planifiés de longue date. Pris de surprise, le gouvernement de Ehoud Olmert a réagi de manière inappropriée. Plutôt que de frapper immédiatement, il s'est contenté, au début d'une opération limitée, pour ne pas se mettre à dos son opinion publique et la communauté internationale. Les méthodes utilisées n'étaient pas à la hauteur comme le note férocement Alex Fishman : «Les fouilles du sol près de Beith Hanoun sont ridicules. Le stationnement de Tsahal sur la plage de Dahanie, au sud de Gaza, est une mauvaise blague. Enfin, le bombardement d'immeubles vides est le comble de l'incompétence». Le Hamas dispose désormais de roquettes, certes artisanales, mais équipés de deux moteurs, dont leur rayon d'action leur permet d'atteindre désormais le centre d'Ashkelon, situé à 15 kms de la frontière entre Gaza et Israël. La première fois, seule la périphérie industrielle avait été la cible des roquettes. Pour certains observateurs, avec la capture de Gilad Shalit et l'offre de négociations, le Hamas avait laissé aux Israéliens un temps de réflexion qu'ils n'ont pas mis à profit. Beaucoup redoutaient que la poursuite des tirs de Kassam gêne les tractations en vue de la libération du caporal shalit, compte tenu des mesures de rétorsion qu'ils entraînaient. On n'a cependant pu noter, grâce à de providentielles fuites en direction de la presse israélienne et internationale, que le Hamas, inquiet de l'escalade, avait été contraint de réviser à la baisse ses exigences. Alors qu'au départ, il réclamait la libération de milliers de prisonniers palestiniens, il se concentre désormais sur la remise en liberté d'une centaine de prisonnières, d'une trentaine de prisonniers ayant purgé des peines de vingt ans, ainsi que sur la libération des ministres et parlementaires palestiniens récemment arrêtés.S'agissant des roquettes Kassam, un expert militaire n'a pas hésité à aller à l'encontre des idées reçues et à dénoncer certaines incohérences. Les Kassam sont des engins artisanaux qui peuvent causer des dégâts mineurs. Ce n'est pas le cas des missiles Scud détenus par la Syrie qui, équipés de têtes contenant des armes non conventionnelles, pourraient tuer des milliers d'Israéliens. La raison de cette omission est simple. La sécurité ne découle pas du niveau technologique des moyens employés, mais de celui qui décide d'y avoir recours. Or, pour les experts militaires israéliens conscients que le président Bachar al-Assad, s'il est un des acteurs majeurs de l'actuelle déstabilisation du Proche-Orient, tout comme l'Iran, n'est cependant « pas assez fou » pour lancer des Scud. Une telle initiative provoquerait une très vive réaction non seulement d'Israël mais aussi de la communauté internationale, et mettrait en danger son pays et son régime. C'est pourquoi Ehoud Olmert et Amir Peretz peuvent se livrer avec lui à des escalades verbales sans conséquences. Ils ne peuvent faire de même avec les tireurs de Kassam, agissant tantôt sur les ordres du Hamas, tantôt de manière spontanée, et qui ne sont nullement impressionnés par les déclarations de Mahmoud Abbas, leur demandant de cesser leurs opérations, voire les menaces d'Ehoud Olmert. L'accélération de l'Opération «Pluie d'Eté» vise à briser la force militaire du Hamas. Toutefois, l'expert militaire israélien affirme que la confrontation risque d'être longue et difficile. D'une part, depuis des mois, en bénéficiant de complicité sur laquelle la lumière n'a pas été encore faite, les Palestiniens ont considérablement renforcé leur arsenal en armes légères et lourdes. D'autre part, «Israël se trouve aujourd'hui face à différents groupes palestiniens qui, le plus souvent, agissent sans se concerter». Et une partie importante de la population palestinienne, contrairement aux pressions de certains journaux israéliens, soutient ces groupes activement. Le Hamas a réussi, il faut le reconnaître, à se ménager plusieurs avantages. Par la voix d'Amir Peretz et d'autres officiels, les Israéliens ont reconnu qu'ils étaient prêts à se retirer à nouveau de Gaza et à libérer les dirigeants arrêtés sur la base d'échange avec le caporal Shalit. Bien que passé dans la clandestinité, le gouvernement d'Ismaïl Haniyeh s'est imposé comme le conducteur des opérations, réduisant le poids de la direction extérieure du mouvement, établie à Damas, où réside Khaled Méchaâl. En un mot, le gouvernement du Hamas a pris en charge la guerre et semble avoir, pour l'instant, coupé « toute porte de sortie » qui aurait facilité la stratégie israélienne. Enfin, le gouvernement du Hamas a réussi à démontrer que le retour au calme à la frontière entre Gaza et Israël dépendait de l'existence d'une Autorité palestinienne responsable, prenant en compte le gouvernement Hamas dans les prises de décisions qui ne sont plus du seul ressort d'Abou Mazen. Un analyste, que nous citons par ailleurs, va jusqu'à affirmer : «Israël ne pourra pas s'en tirer uniquement sur la base d'un plan de redéploiement en Cisjordanie comme ce fut le cas à Gaza. Il ne suffit pas de négociations ou d'un accord avec Abou Mazen. Celui-ci doit d'abord réaliser son propre programme sur la base d'une «seule loi, une seule force». Il ajoute encore : «je n'ai pas compris qui avait déclaré la guerre et à qui? Le Hamas à Israël ou Israël au Hamas? La Syrie à Israël ou l'inverse? L'Iran à Israël ou le contraire?». Et il rappelle que le ministre «civil» de la Défense a déclaré : «La Syrie est la principale adresse du terrorisme». Shimon Peres, lui, a mis en garde le président Mahmoud Ahmadinejad : «L'Iran peut être détruit». Enfin, un autre membre de Kadima a affirmé : «Les ravisseurs de Gilad Shalit paieront un prix sans précédent». Quant au Premier ministre, il démontre, tout comme son ministre de la Défense, qu'il «sublime un manque d'expérience militaire par des déclarations incendiaires». Tous les analystes des médias israéliens ont raison de recommander : «il faut agir et non pas discourir» et d'avertir les politiciens tout comme certains généraux : «La protection de la population ne peut être déterminée en fonction de l'origine des habitants des localités concernées». Et si l'on veut la sécurité pour tous, il ne suffit pas de réclamer la paix, il faut ouvrir des négociations pour obtenir celle-ci.