Ahmed Ennaji, ancien directeur technique de l'Office national des aéroports (ONDA), analyse la dernière décision des autorités compétentes de procéder à la fermeture de l'aéroport de Benslimane. Point de vue d'un expert. L'autorité administrative en charge de l'aviation civile a retenu au mois de décembre dernier de réactiver la plateforme aéroportuaire de Ben Slimane. L'ONDA, qui s'est vu déléguer la prédisposition de cet aéroport pour recevoir le trafic aérien s'est attelé à l'ouverture d'un bon nombre de chantiers avec l'objectif d'une mise en service dans un délai record. Si l'engouement et l'engagement constatés, des équipes en charge du suivi des travaux, témoignent d'une certaine détermination pour réussir un tel défi, il est à craindre que les objectifs ne soient pas au rendez vous ou tout au moins que la facture ne soit pas en proportion selon les normes régissant des projets similaires qui ont vu le jour dans des conditions réalistes. En effet, l'importance de ce projet impliquait, après en avoir vérifié l'opportunité et la faisabilité, la réalisation d'études appropriées pour définir la nature de l'activité et des services, la typologie du trafic escompté à la mise en exploitation, son impact sur l'environnement aéronautique et ses perspectives de développement à moyen et long termes. Cette approche aurait permis de déterminer et de planifier les actions d'équipement et de travaux en fonction des besoins réels et en conformité avec les normes et les règlements en vigueur, régissant les activités aéronautiques et aéroportuaires. Or, force est de constater que la stratégie des décideurs semble être dictée par une logique différente qui ne manque pas d'interpeller plus d'un citoyen pour peu qu'il s'intéresse à l'activité. Les appels d'offres lancés dans la précipitation sur la base de documents génériques ont permis de lancer certains travaux qui se sont avérés inadéquats et ont dû être arrêtés et réaménagés en cours de réunions de chantier improvisées. L'absence d'études techniques spécifiques à la base d'une part, et les contraintes de délais d'autre part, ont conduit à sacrifier les principes d'ordonnancement des opérations de constructions et d'équipement et ceux du respect de la conformité aux spécifications et des clauses contractuelles. C'est ainsi que parmi d'autres priorités, le marché concernant la fourniture et l'installation de l'équipement de radioguidage (VOR a été adjugé sans détermination préalable des coordonnées géographiques ni réservation du site de son implantation pour tenir compte de son intégration dans les procédures réglementant l'espace aérien de la région (TMA Casablanca). Le marché du balisage de nuit des aires d'approche et d'atterrissage a été passé sur la base d'un équipement standard, type calvert, sur 900 mètres avec 120 projecteurs hors sol en amont de la piste avion qui offrait au départ une longueur de 3000 mètres avec une entrée bétonnée au niveau de la zone de touchée à l‘atterrissage. D'autres marchés ont été parallèlement lancés pour la construction d'une centrale d'énergie pour l'alimentation électrique des différentes composantes de l'aéroport ainsi qu'une tour de contrôle provisoire mobile. Il eut été surprenant que les services d'exploitations ne se manifestent pas, car dès le lancement des premiers travaux, les options engagées ont été contestées, ce qui a donné lieu à une remise en cause des solutions retenues et à une pondération des ambitions en termes de performance et de délais. En effet, à défaut d'avoir défini un site approprié pour l'installation du VOR, ce dernier a été implanté sur le segment de l‘entrée de piste et dans l'alignement des feux d'axe d'atterrissage. Le recours à cette option a eu pour conséquence de supprimer l'équipement de balisage lumineux type calvert par une installation simplifiée réduite à 27 feux et répartis sur 420 mètres seulement. De plus, pour des raisons de franchissement de cet obstacle, la piste a été amputée des premiers 250 mètres correspondant à la zone renforcée de touchée des roues à l'atterrissage. Le balisage de nuit de cette zone de manœuvres est également été profondément reconfiguré, compte tenu des sujétions opérationnelles. Si l'on considère qu'à l'instar des aéroports de Rabat, Tétouan, Essaouira, le VOR en question pouvait bien être situé dans l'enceinte de l'aéroport , mais en marge de la piste d'atterrissage selon les spécifications dictées par l'Organisation de l'aviation civile, les désagréments imputables à la solution retenue auraient été évités. Ces désagréments sont avant tout d'ordre technique : a) Le guidage du VOR à l'atterrissage est interrompu lors du passage de l'avion dans le cône de silence (60° à la verticale de la station). b) Cette situation n'est pas appréciée par les pilotes en cours d'atterrissage et notamment dans le cas d'une remise des gaz avec une réinsertion dans le trafic de la TMA de Casablanca. c) Le franchissement du VOR constituant en son site actuel un obstacle «mince» dans la trouée d'atterrissage engendre le déplacement, en aval, du seuil d'atterrissage et donc l'abandon d'une bande de la piste, réduisant d'autant les potentialités offertes par l'infrastructure existante au départ. d) Par ailleurs, une implantation plus centrale du VOR aurait permis de coller au mieux aux engagements contractuels des marchés concernés, voire d'optimiser certains items tels que les raccordements aux réseaux d'énergie et de communications hotline. La construction d'une nouvelle centrale d'énergie, la fourniture d'une tour de contrôle mobile provisoire et des équipements radioélectriques du VOR ont exigé des délais de fabrication que les cahiers des charges n'ont pas pris en compte. Il en est découlé qu'à défaut de respect des délais contractuels, des solutions de substitution ont été envisagées, telles que le redéploiement de matériel destiné initialement à d‘autres aéroports, la réhabilitation temporaire d'anciens bâtiments et le recours à des unités portatives de liaisons radio pour assurer le contrôle du trafic aérien. Cette initiative qui aurait du prévaloir avant la conclusion de promesses contractuelles intenables, permettra tout au plus, dans la phase actuelle, de disposer des aires de mouvements à l'exclusion de toute installation technique ou d'accueil des exploitants. Le lancement, dans une deuxième phase, de la construction, dans des délais raisonnables, d'un bloc technique avec une tour de contrôle normalisée et d'une aérogare d'accueil d'une part et la mise à jour des procédures régissant la navigation aérienne et l'évolution des avions dans la TMA de Casablanca d'autre part, conditionne en fait la vraie échéance de mise en service de l'aéroport. Du reste, une identification préalable des besoins et une programmation réaliste de leur satisfaction auraient été souhaitables afin d'éviter les déperditions regrettables des énergies et des fonds publics. Puisse donc malgré tout que ce nouvel équipement, une fois disponible contribuer effectivement à l'essor espéré pour le secteur dans le cadre des orientations de développement qui ont été tracées par les hautes instances du Royaume. Dans l'attente, gageons que l'ONDA, après l'annonce publique de sa ferme volonté de changer de stratégie, saura renouer avec l'adéquation des mesures et l'optimisation de ses actions. • Par Ahmed Ennaji Directeur technique de l'ONDA à la retraite