Dix jours après avoir exposé sur toutes les télévisions du monde les images de l'humiliation de Saddam Hussein, l'Administration américaine a reçu un nouveau cadeau, cette fois-ci, de Mouammar Kadhafi. Le colonel rentre en grâce auprès de l'Oncle Sam, tout disposé à le recevoir en fils prodigue. En annonçant, vendredi, qu'elle renonçait à ses programmes d'armes de destruction massive (ADM), la Libye a réussi un " coup " diplomatique aussi spectaculaire qu'inattendu après de longues années d'isolement sur la scène internationale. Les deux pays, a priori les plus hostiles au régime du colonel Kadhafi, les États-Unis et la Grande-Bretagne, ont aussi été les premiers à saluer la mise hors course des ADM. George Bush a promis à la Libye une " place solide et respectée parmi les nations ". Jusqu'alors, Washington avait tout fait pour isoler Tripoli, notamment vis-à-vis de ses voisins arabes. En outre, « l'une des premières conséquences de cette volte-face est que les compagnies pétrolières arabes vont maintenant revenir » en Libye, affirme-t-on à Londres. La Libye est désormais un choix logique pour les sociétés pétrolières américaines, au nom de leurs «attaches» historiques avec ce pays. Kadhafi ne se contente pas d'assumer ses proches choix. Il s'érige désormais en donneurs de conseils: il a ainsi encouragé la Corée du Nord, l'Iran et la Syrie, suspectées de posséder des ADM, à suivre la voie tracée par la Libye : «à mon avis, ils devraient nous suivre, ainsi, ils éviteraient qu'une tragédie soit infligée à leur propre peuple», a-t-il dit. Annoncée cinq jours après l'arrestation de Saddam Hussein, la décision libyenne est du pain bénit pour les États-Unis. Elle serait, comme l'a affirmé George Bush, le " résultat " de l'approche déployée au Moyen-Orient. L'intervention militaire en Irak et l'arrestation humiliante de son ancien homme fort auraient permis, selon le président américain, d'" envoyer un message sans détour aux régimes qui cherchent à développer ou possèdent des armes de destruction massive " - variante américaine de " terroriser les terroristes ". On fait remarquer à Washington que les effets de cette " stratégie " se font aussi sentir en Iran, signataire la semaine dernière du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), et en Corée du Nord, qui devrait accepter de reprendre prochainement les négociations sur son programme nucléaire. Les actions terroristes ayant impliqué dans le passé le colonel Kadhafi, telles que les attentats de Lockerbie ou du DC-10 d'UTA, sont plus réelles que les introuvables armes de destruction massive ou le soutien à Al-Qaïda. N'empêche que le président libyen devient sortable dès lors qu'il sert les intérêts de l'Administration Bush. Après tout, Saddam Hussein, lui-aussi, a été traité avec beaucoup d'égards, lorsqu'il utilisait des armes chimiques contre l'Iran… Aujourd'hui, Washington a tout intérêt à sur-dimensionner l'impact du revirement libyen avant de crédibiliser sa thèse de « guerre préventive ». Déjà, le Premier ministre britannique, Tony Blair plastronne en affirmant que « les décisions de Kadhafi montrent que les événement récents et la détermination politique ouvrent des possibilités qui auraient paru impensables il y a quelques années» Cependant, certaines voix se sont élevées pour relativiser ce " succès " américain. Un expert en stratégie expliquait hier que la Libye est " loin d'être une puissance militaire " et que Bush et Blair avaient " gonflé la menace " pour " grandir leur succès ". Le pays ne figurait pas dans l'" axe du mal " (Irak, Iran, Corée du Nord), contre lequel Bush voulait lutter en priorité, même s'il était inscrit en tête de la liste des États soutenant le terrorisme. Sur ce point, l'hebdomadaire britannique The Observer, croit savoir que la Libye aurait accepté, en même temps que le renoncement aux ADM, de délivrer les informations dont elle dispose sur Al Qaïda, les réseaux islamistes et le programme d'armement iranien. En outre, la décision de la Libye, tout comme l'acceptation par l'Iran de souscrire à toutes les exigences du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), soulignent le traitement de deux poids, deux mesures ressenti dans les capitales arabes. Israël disposerait de quelque 200 bombes atomiques, ainsi que des vecteurs appropriés, et le gouvernement extrémiste de Sharon n'a nullement l'intention de s'en départir. On retiendra aussi que le même week-end où il a donné son absolution au colonel libyen, George W. Bush déclarait à des journalistes à la Maison Blanche « qu'il faut se débarrasser de Yasser Arafat»… Après avoir prôné le panarabisme et l'unité de l'Afrique, sans succès, après avoir tenté de mettre en place un système économique proche du socialisme, Kadhafi semble décidé, à soixante et un ans, à jouer sa propre carte diplomatique dans le cadre d'une économie privatisée et ouverte aux investisseurs étrangers. Ce revirement se serait concrétisé en mars dernier, au moment où Libyens, Britanniques et Américains entamaient les négociations sur l'indemnisation des victimes de l'attentat de Lockerbie. Annonçant un "changement décisif dans sa politique", Tripoli aurait alors proposé à Washington et Londres d'engager des pourparlers sur les ADM. Les discussions secrètes auront donc duré neuf mois. En octobre puis en décembre, des experts américains se sont rendus en Libye pour y inspecter une dizaine de sites et prendre connaissance des documents promis par le régime de Kadhafi. On y apprenait notamment que Tripoli possédait des missiles de longue portée SCUD d'origine soviétique, d'importants stocks d'armes chimiques et plusieurs appareils destinés à enrichir l'uranium. Selon les experts, les recherches libyennes n'étaient cependant pas assez avancées pour mettre au point l'arme nucléaire.