à travers cette restitution de l'histoire des télécoms de Rabat, on constate que depuis 1908, Rabat n'a pas cessé de communiquer, toujours plus loin et plus vite. Un regard matinal sur la médina de Rabat Chaque dimanche, et ce depuis des années, j'ai pris l'habitude de parcourir, tôt le matin, la vieille ville de Rabat. Mon rituel commence toujours par choisir, parmi de nombreuses portes, laquelle franchir pour voyager au cœur de la médina et remonter le temps qui la sculpte. Ces grandes ouvertures renvoient vers toutes les époques qui se sont succédé dans la gestion de la capitale. Ainsi, chaque porte, à elle seule, est une invitation à se ressourcer dans des passés lointains ou récents. Toute porte est une ouverture vers des siècles d'histoires, vers des quantités de cultures, vers de véritables archives encore debout parmi nous... toute porte est une manière bien singulière d'entamer la découverte de la médina ; elle ressemble beaucoup plus à l'angle sous lequel on découvre et on apprécie une œuvre. Et effectivement, il s'agit bien d'œuvre d'art, car, à chaque dimanche, je me sens en ce lieu chargé comme un visiteur au milieu d'un musée à ciel ouvert où j'explore les ruelles comme des tableaux vivants et bien animés de personnages, de couleurs, d'arômes et de chants... Et tout en assistant, à cette heure de la journée, au réveil doux et détendu des commerces et des activités de toutes sortes, je perçois ces ruelles, mimant tout juste des tableaux d'art, d'où se dérobent des personnages... Une découverte inattendue En un dimanche du mois d'août 2022, je ponctue mon rituel en entrant par la porte de Sidi Daoui qui débouche sur l'axe principal de la rue des Consuls. Cette même ruelle qui renvoie à des couches épaisses de notre histoire, elle en a vu du monde avant moi. Bien évidemment, chaque visite de la médina apporte son lot de surprises et de sentiments agréables, et ce jour-là, en allant vers le quartier El Mellah, quel a été mon étonnement lorsque mon regard, capté par une plaque ancienne, je lis que je suis dans la cité du télégraphe ! Cette plaque toujours là, toujours debout, témoigne d'une époque où toute une cité était dédiée au télégraphe. Et c'était le début de mes recherches pour satisfaire une certaine curiosité née à cet instant : que signifie ce mot technique au cœur de la médina ? Après avoir interrogé énormément de personnes habitant depuis longtemps la cité du télégraphe et les quartiers limitrophes, je n'ai pas eu de réponse satisfaisante. Et c'est ainsi que j'ai entamé une recherche sérieuse à travers livres et revues au sujet de la médina de Rabat. Et des échanges avec des anciens collègues du secteur télécoms ont été très fructueux. M. Benzaken, un ancien habitant du Mellah, m'a beaucoup aidé dans cette recherche. Une origine riche de la plaque La cité du télégraphe au Mellah de Rabat, exactement non loin de Bab Mellah ou Bab du télégraphe à l'enceinte andalouse, a été créée pour abriter les agents qui travaillaient à la poste et dans le bureau du télégraphe qui se trouvait dans la médina. Rappelons qu'à cette époque tout le quartier Hassan était un champ de vignes et de figues de barbarie ; à part, évidemment, la cité du Chellah et la célèbre Tour Hassan. Dans la médina non loi de Bab El Mellah un pylône de 52 mètres de télégraphie sans fil fut construit en 1908 sous le règne de Moulay Hafid. Il s'agit de la première station radiotélégraphique de Rabat créée le 15 mai 1908 exactement par l'Administration des télégraphes chérifiens dirigée par Henri Popp puis par Biarnay dès 1910. Administration qui fut rattachée à partir de 1911 à l'Administration chérifienne des PTT puis le 1er octobre 1913 à l'Office marocain des PTT. Par la suite, la poste fut installée à l'extérieur juste en face de Bab El Mellah boulevard Henri Popp à l'époque et devenu, plus tard, boulevard My Ismail. Cette station a commencé à fonctionner dans un premier temps avec le code de morse avant de passer aux autres méthodes de codages. En 1908, communiquer de Rabat vers Paris en moins d'une seconde sans lien, sans fil, était considéré par beaucoup de personnes à l'époque comme un acte de «sorcellerie». A cet effet un bureau des Postes et Télégraphes chérifiens a été construit à l'époque, rue Oukassa, à côté de cette antenne. Cette station télégraphique au sein de la médina était destinée à assurer les communications officielles, aussi bien militaires que civiles. Elle fut ouverte au public le 6 décembre 1911. Ce bureau de télégraphie de Rabat était relié aux stations fixes de Casablanca et de Tanger. Il était relié à l'international via la liaison télégraphique sous-marine Tanger-Oran-Marseille. Rappelons qu'au Maroc, jusqu'en 1908, Tanger a été la seule ville à être dotée de communications de télégraphie filaire. Trois câbles sous-marins, un anglais, un espagnol et un français permettaient de réaliser ces communications avec le monde entier. Plus tard la station TSF de Rabat était reliée aussi à Fès et à Meknès. Notons que cette station de la médina de Rabat a été créée avant que le Maroc adhère à la convention internationale de la radiotélégraphie de Berlin. Cette station fonctionnait dans la bande des 415 à 525 kHz. Pour mémoire rappelons que dès 1907 la transmission sans fils (TSF) démontra son utilité en temps de guerre au Maroc. La France était appelée à utiliser la TSF pour la première fois à Casablanca en 1907 sous le règne de Moulay Abdelaziz. Dans la journée, la station TSF de Casablanca installée initialement dans le consulat de France rue Amir Abdellah actuellement, communiquait dans la journée via le croiseur Kléber avec un navire en mouillage à Tanger ; les informations sont alors remontées à Paris par le câble télégraphique Tanger-Oran-Marseille. La nuit qui facilite la propagation des ondes, le Kléber de Casablanca communiquait directement avec la Tour Eiffel. Ainsi la Tour Eiffel a vu son émetteur à l'époque augmenté en puissance qui a été portée à 10 kilowatts et émettait sur une fréquence de 150 kilohertz. La portée de l'émetteur de la Tour Eiffel était d'environ 1.200 kilomètres le jour et 2.500 kilomètres, la nuit. Ce dispositif fonctionna à la satisfaction générale jusqu' à juin 1908. Il sera ensuite remplacé par des stations fixes de Casablanca et de Tanger. Notons que deux mille kilomètres séparent la Tour Eiffel (Paris) de Casablanca. En conclusion, on peut affirmer qu'à travers cette restitution de l'histoire des télécoms de Rabat, on constate que depuis 1908, Rabat n'a pas cessé de communiquer, toujours plus loin et plus vite. Ainsi et dans le cadre du développement de la ville de Rabat comme «ville des lumières», je propose que les autorités concernées de Rabat pensent à restaurer le site en réinstallant l'antenne telle qu'elle existait à l'époque à la cité du télégraphe dans la médina de Rabat. (*) Directeur de PTT Maroc et de Lte magazine et expert de l'Union International des Télécoms (organisme spécialisé relevant de l'ONU).