Le ministre de la Justice estime que les déclarations de l'avocat de la partie civile ont fait qu'on est passé d'une affaire judiciaire à une médiatisation accusatrice. Pour Mohammed Bouzoubaâ, le juge Patrick Ramaël n'a pas respecté le droit de réserve. ALM : Que s'est-il passé exactement lors du déplacement de Me Ramaël au Maroc pour cette commission rogatoire ? Mohamed Bouzoubaâ : Lorsque nous avons reçu la dernière commission rogatoire, celle-ci fut transmise au juge d'instruction chargé de son exécution et ce conformément aux dispositions de la convention d'entraide judiciaire entre le Maroc et la France, mais aussi de l'article 715 du code de procédure pénale. Vu les informations publiées par des organes de presse à travers les déclarations de l'avocat de la partie civile, il s'est avéré que certaines difficultés sont apparues pour l'exécution de cette dernière commission rogatoire. Cela provient notamment du manque des adresses des personnes figurant sur la liste des vingt témoins à interroger. Il faut noter également que certains desdits témoins ne figurent sur cette liste que par leur prénom. Et rien d'autre. D'autre part, la commission rogatoire était incomplète du fait du manque de documents justifiant les questions à poser aux témoins. Mais malgré tout cela, le juge d'instruction marocain s'est mis d'accord avec son homologue français pour un report d'exécution. Ceci a d'ailleurs fait l'objet d'entretiens entre les deux parties et avait été confirmé la veille de l'arrivée du juge d'instruction français. Malgré cette demande de report, ce dernier a tenu à effectuer son déplacement au Maroc. Le juge marocain, lui, a profité de la présence de son homologue français pour le recevoir le 28 novembre 2005 et lui exposer les lacunes de la commission rogatoire et les moyens susceptibles d'y remédier. Le but final est d'en assurer une bonne exécution. Les deux parties avaient donc convenu de la nécessité d'une commission rogatoire complémentaire comme c'est écrit noir sur blanc dans le procès-verbal de cette rencontre. Pour résumer, une fois reçues et examinées les pièces complémentaires que devra fournir la partie française, les deux juges devront fixer une date pour l'exécution de cette commission rogatoire. Qu'en est-il alors des accusations de «manque de coopération » et même d' «obstacles » dressés devant le juge Ramaël ? Il y a eu avant cette commission rogatoire six autres commissions du genre et le Maroc les a exécutées partiellement. L'handicap a toujours été le manque de renseignements nécessaires pour trouver les témoins qui doivent être interrogés. Il y a aujourd'hui une réelle volonté d'aider la justice française qui détient ce dossier pour parvenir à la vérité dans cette affaire qui dure depuis 40 ans. Et surtout qu'il s'agit de l'affaire concernant Mehdi Ben Barka, leader et figure de proue du mouvement national et pour qui le peuple marocain a beaucoup d'estime. Ce leader qui a été victime d'un complot auquel ont participé plusieurs services qui avaient des intérêts communs dans son élimination physique. Existe-t-il au Maroc une réelle volonté à collaborer pleinement avec la justice française dans cette affaire ? La volonté d'arriver à la vérité dans cette affaire a été exprimée à maintes reprises par les hauts responsables de notre pays. Je citerais dans ce sens la déclaration de Sa Majesté le Roi Mohammed VI qui affirmait au journal français «Le Figaro» du 4 septembre 2001 : «Il serait inconvenant de ma part de demander à Bachir Ben Barka d'oublier et de tirer un trait sur le passé. Non, je ne le ferai pas... Et je suis prêt à contribuer à tout ce qui peut aider la vérité».Ceci prouve qu'il y a réellement une volonté politique au plus haut niveau pour faire la lumière sur cette affaire. Ce que nous souhaitons aussi, c'est que les autorités françaises collaborent afin de parvenir à la vérité et à déterminer les vrais responsables de ce crime politique.Pour ce qui est du Maroc, j'ajouterais que ce dossier est également entre les mains de l'Instance Equité et Réconciliation qui a entrepris un réel travail de recherche de la vérité. Comment trouvez-vous l'attitude de Me Ramaël qui a fourni de faux renseignements à la frontière, mais aussi Me Buttin, lui, qui fait office de porte-parole ? Est-ce que c'est tolérable dans le domaine de la justice ? Il faut dire que je suis resté surpris et perplexe du fait du comportement du juge d'instruction français et surtout lorsque j'ai appris qu'il avait caché à la police des frontières sa qualité de magistrat à son arrivée au Maroc et s'est fait passer pour un « exploitant agricole » ! Il aurait également eu, durant son séjour au Maroc, des contacts inappropriés à sa mission. En plus, et en tant que magistrat, il ne pouvait faire fi de son devoir de réserve et du respect dû au principe du secret de l'instruction dont il devait être le premier garant ! Du fait de ces agissements, nous sommes passés d'une affaire qui se devait de rester à caractère strictement judiciaire à une médiatisation accusatrice.