Le sida continue de sévir au Maroc. Outre le traitement médical, les patients ont besoin de soutien psychologique, estime Nadia Bezad, présidente de l'Organisation Panafricaine de lutte contre le sida. ALM : Quelques jours seulement nous séparent du 1er décembre, la journée mondiale du sida. C'est l'occasion de dresser l'état des lieux concernant cette maladie au Maroc. Comment évaluez-vous la situation ? Nadia Bezad : La situation est très grave. La maladie connaît une évolution dramatique. Chaque année de nouveaux cas s'ajoutent. Le ministère de la Santé a publié en juillet 2005 les statistiques concernant le nombre de personnes atteintes de sida. Selon le ministère, il y a 1719 cas de sida maladie déclarés jusqu'à août 2005. De même, 16 000 personnes au Royaume sont séropositives porteuses du virus VIH. Il y a une tendance à l'accroissement du nombre d'infections à VIH. Il y a également un autre chiffre alarmant et plus éloquent. Chaque année, on enregistre 600 000 nouvelles infections sexuellement transmissibles. Le mode de transmission dominant est la voie hétérosexuelle (plus 70 % des cas). Par ailleurs, les personnes atteintes de cette maladie sont jeunes. Elles sont âgées de moins de 49 ans. La majorité de ces personnes est analphabète (50 %). De même, 57% sont des chômeurs, sans profession. L'ignorance, la non-utilisation de préservatifs et bien d'autres facteurs sont à l'origine de l'évolution de cette maladie au Maroc. Les femmes sont de plus en plus touchées pour des raisons biologiques, socio-économiques et juridiques. Les enfants ne sont pas épargnés. Leur nombre augmente chaque année. D'après notre expérience, on remarque que les enfants et les femmes sont les premières victimes du sida. Chaque jour, 8000 jeunes sont touchés par le VIH dans le monde. Combien de personnes atteintes de sida au Maroc ont accès au traitement avec des antirétroviraux ? Premièrement, les malades atteints du SIDA ne sont pas systématiquement sous traitement antirétroviral. Il faut qu'ils soient éligibles à ce traitement. En d'autres termes, ils doivent répondre à certains paramètres biologiques. Au Maroc, les personnes sous traitement sont estimées à 700 patients. Les personnes ayant une couverture médicale sont prises en charge par les organismes de la mutuelle. Ceux qui ne bénéficient pas d'une couverture médicale et n'ont pas les moyens d'acheter les médicaments sont pris en charge par le ministère de la Santé. Mais, la problématique qui se pose actuellement est relative à l'éducation du malade. Il faut renforcer le programme d'éducation thérapeutique destiné à ces patients et le généraliser sur toutes les régions du Royaume. Le sida est actuellement une maladie non guérissable. Les médicaments utilisés ont pour but de renforcer l'immunité de la personne atteinte du sida et de diminuer la charge virale dans le sang. Le patient doit donc apprendre à vivre avec cette maladie. Il doit prendre ses médicaments à temps, ne pas interrompre son traitement et suivre un régime alimentaire précis. Il convient de noter que les patients atteints du sida sont très vulnérables et peuvent développer d'autres maladies dites infections opportunistes. En somme, le patient a besoin de soutien moral et d'assistance médicale. C'est pourquoi, il faut établir une stratégie globale comprenant trois volets. Le premier concerne l'accès au traitement antirétroviral. Le second a trait au soutien psychologique. Le troisième concerne le volet social. Ce dernier volet est très important car le patient du sida souffre de discrimination sociale et de stigmatisation. Il faut surtout œuvrer pour changer la vision de la société envers ces patients. Combien coûte le traitement avec des antirétroviraux ? Auparavant, le traitement avec les antirétroviraux coûtait très cher environ 10 000 dirhams par mois. Actuellement, grâce aux génériques et le soutien des ONGs, le traitement avoisine les 800 dirhams par mois pour chaque patient. Selon l'ONUSIDA, la prévalence du VIH pour la population carcérale au Maroc est de 1 %. Cette population est aujourd'hui estimée à 50 000 personnes. Qu'en pensez-vous ? Ce chiffre est alarmant. Il faut le prendre au sérieux. Il faut renforcer les activités de prévention et de prise en charge des patients dans la prison. Récemment, 10 000 détenus ont été graciés. L'un des critères retenu pour la libération, figure l'état de santé du détenu. Y a-t-il parmi les personnes libérées des porteurs de VIH? On ne peut pas savoir s'ils sont porteurs du virus du sida car on ne peut pas leur faire subir systématiquement ce test. Je rappelle que le test de dépistage du VIH est volontaire et anonyme. Quelles sont les activités de votre association? Depuis sa création en 1994, notre association s'est assignée comme objectif la lutte contre le sida en adoptant une stratégie bien définie. Cette stratégie comprend trois volets : la prévention, l'action communautaire et la prise en charge médicale et psychosociale des personnes atteintes des infections sexuellement transmissibles et sida. Nous menons des actions de proximité, un travail de terrain. Nous avons toujours opté pour la décentralisation de nos activités. Nous avons ainsi ouvert des centres de traitements ambulatoires dans différentes régions du Maroc pour répondre aux besoins de la population en matière de prise en charge, dépistage et prévention. Nous avons actuellement une quinzaine de centres. Notre cible est principalement les jeunes, qui sont les hommes et les femmes de demain.